1 - L'homme et la forêt dans 
    la région du lac au Néolithique
    C'est par l'analyse des sédiments lacustres ou tourbeux dans lesquels 
    se sont déposés les pollens que la flore néolithique 
    est bien connue dans sa variété et ses fluctuations chronologiques. 
    Ainsi, à Charavines, près d'un millénaire de défrichages 
    et de reforestations sporadiques ont pu être analysés puisqu'une 
    datation au radiocarbone de la craie lacustre les atteste déjà 
    vers 3.500 BC.
Au cours de 
    la période précédant l'occupation du site, on distingue 
    une longue suite d'avancées et de reculs de la forêt. La concordance 
    des " creux polliniques " du sapin et de la présence de lin 
    et de céréales indique une pratique de l'agriculture après 
    déforestation.
    La proportion des pollens d'arbres varie constamment au cours du temps, les 
    diminutions du sapin correspondant à une remontée du hêtre. 
    Les fortes régressions cycliques du sapin accompagnées de la 
    poussée du hêtre ne peuvent pas être corrélées 
    avec les variations climatiques. Peut-être pourrait-on déceler 
    des attaques parasitaires, mais ce n'est pas très probable ; il est 
    plus vraisemblable que les sapins sont, dans la région de Charavines, 
    plus utilisés dans les constructions que les autres essences. On comprend 
    ce choix pour des raisons techniques : les sapins ont des troncs réguliers, 
    longs et rectilignes que n'ont pas les feuillus.
    
    Il faut plutôt considérer ces baisses du potentiel forestier 
    comme le résultat des actions humaines, soit pour ouvrir des terres 
    nouvelles à l'agriculture ainsi qu'en témoigne la présence 
    de céréales, soit pour se procurer du bois de construction et 
    probablement souvent pour ces deux causes en même temps.
    
    On peut remarquer enfin que ces déforestations sont suivies par une 
    reconquête de la forêt dans un cycle cultural de jachère-forêt. 
    Les terroirs abandonnés après épuisement rapide, en l'absence 
    de labourage, étaient régénérés par la 
    forêt qui les colonisait à nouveau. Ces cycles peuvent être 
    évalués de quarante à cent ans. 
    
    Une variation climatique est visible aussi pendant le millénaire que 
    couvrent les analyses. L'augmentation progressive du sapin est à rattacher 
    à la dégradation de la fin de la période atlantique : 
    c'est au moment où le sapin égale puis domine le hêtre 
    que les botanistes placent le passage de l'atlantique au sub-boréal, 
    grosso modo durant le siècle qui a vu, par deux fois, l'occupation 
    des rives à Charavines. 
    
    La période d'occupation a provoqué un nouveau recul de la forêt 
    proche du lac, correspondant aux besoins en bois de construction. Pendant 
    deux espaces de temps de vingt à vingt cinq ans, séparés 
    par un abandon de moins de quarante ans, l'utilisation de la forêt a 
    entraîné une diminution importante des sapins et des hêtres. 
    Ces deux essences étaient abondamment utilisées, le sapin pour 
    la construction des maisons, le hêtre comme bois de feu et pour une 
    partie des édifices de la deuxième occupation. On remarquera 
    que, d'après les pollens, le deuxième village aura beaucoup 
    plus déboisé les environs du site en lisière et en forêt 
    déjà éclaircie que lors du premier village qui, lui, 
    avait surtout attaqué la forêt primitive (Fig. 
    4 - A). A 40 ans d'intervalle, les hommes n'ont pas trouvé le même 
    environnement forestier.
2 
    - Impact de l'homme sur la forêt (M. Noël et A. Bocquet, 
    1988)
    Il est difficile, en l'état actuel de nos connaissances, d'aller très 
    loin dans les estimations des superficies déforestées. On peut 
    tenter une approximation à Charavines où les fouilles ont livré 
    1 800 pieux ou arbres abattus, auxquels il faut ajouter un bon nombre de pièces 
    de charpente de 4 à 10 mètres de long. Dans le cas où 
    deux pieux ou bien un pieu et une pièce de charpente, seraient prélevés 
    dans le même tronc, la consommation de bois serait plus faible et donc 
    la superficie déboisée réduite d'autant : on a alors 
    une hypothèse basse d'utilisation des troncs (plusieurs pièces 
    prises dans le même tronc) et une hypothèse haute (une pièce 
    par tronc).
    
    L'évaluation des superficies déforestées peut ainsi 
    être tentée pour la construction du village :
    - pour une densité forestière faible de 300 brins à l'hectare, 
    on arriverait à une superficie de 12 à 17 hectares ;
    - pour une densité de 400 brins/hectare, on arriverait à une 
    superficie déforestée de 9 à 10 hectares ;
    - pour une densité forte de 500 brins/hectare, la superficie déforestée 
    pour la construction du village se situerait entre 7 et 10 hectares.
    Même en ajoutant à ces superficies de forêts exploitées 
    les déforestations consécutives aux autres usages, on reste 
    sans doute en deçà du seuil critique de déboisement donc 
    la régénération est rapide après le départ 
    des hommes. De plus, les coupes se situaient à proximité des 
    rives lacustres ou peu éloignées de celle-ci, ainsi que l'indique 
    l'analyse des pollens, et les massifs forestiers, primitifs ou partiellement 
    exploités (voir plus loin), subsistaient malgré les atteintes 
    directes effectuées sur leurs franges.
 3 
    - Les espèces forestières
    
    Seuls les sapins ont été datés dans le premier village. 
    Pourtant les forêts voisines contenaient aussi des feuillus que l'on 
    retrouve dans les structures (planches et éléments de charpente, 
    parois, etc.) et avec les copeaux (Fig. 50, 
    chapitre sur les maisons et l'architecture) : hêtre, frêne, érable, 
    orme, aulne, noisetier, chèvrefeuille, cornouiller, houx et viorne.
    Dans le deuxième village les sapins mais aussi une partie des frênes, 
    érables et ormes a été datée. La comparaison avec 
    les bois du premier village est significative : comme le montrent les pieux 
    datés : le hêtre, le frêne, l'érable et l'aulne 
    dominent largement le sapin alors que celui-ci forme la base des structures 
    de la première occupation. 
    De nombreux pieux non datés de saule et de plus rares en noisetier 
    entrent aussi dans les constructions. Les pollens et les macrorestes témoignent 
    de la présence de cette flore très variée. Ainsi des 
    objets et des bois (Fig. 2 et 3 
    -A) portant des traces de travail fournissent d'autres essences forestières 
    : chêne, fusain, if, osier, peuplier, prunier, noyer, sureau et troène.
4 
    - Exploitation de la forêt avant les occupations (voir Fig. 
    3 -B).
    La dendrologie a fourni de nombreux renseignements sur l'origine écologique 
    des pieux qui permettent de comprendre les processus d'utilisation et d'exploitation 
    des forêts.
    
    - Pour la première occupation, les forêts environnantes ont été 
    exploitées 7, 15, 18, 23 et 25 ans avant l'installation, fort vraisemblablement 
    par un village voisin d'une durée de vie de 25 ans environ ayant comporté 
    une installation en deux phases (-25 et -23), des réaménagements 
    (-18 et -15) et une reprise en -7, suivant un schéma assez identique 
    à celui de la première occupation.
    On peut imaginer très vraisemblablement que les occupants de ce village 
    proche du lac ont déménagé pour venir s'installer aux 
    Baigneurs.
    
    - Pour la deuxième occupation on peut retrouver la marque de deux villages 
    antérieurs successifs si ceux-ci ont toujours la même durée 
    de vie d'une vingtaine d'années. Un village a exploité la forêt 
    7 et 17 ans avant notre village et un autre 48, 49 et 52 ans auparavant.
5 
    - Exploitation de la forêt au cours des occupations (Fig. 
    4, 5, 6 et 9)
    Les pieux coupés pour les constructions proviennent soit des lisières 
    de bois, soit des forêts déjà exploitées, soit 
    de forêts jamais exploitées (forêts primitives).
    Il est intéressant de savoir quand ces trois sources ont été 
    utilisées :
a - 1ère 
    occupation (Fig. 4 et 
    5)
    
    La première phase (an 1 et an 2) a puisé ses bois dans des forêts 
    antérieurement exploitées en l'an 1, sur des lisières 
    et des forêts jamais exploitées (vraisemblablement plus lointaines) 
    en l'an 2.
    
    La deuxième phase (an 3 et an 4) la plupart des bois provient de forêts 
    exploitées (an 3) et de forêts non exploitées (an 4).
 Les transformations 
    de l'an 9 ont des pieux provenant surtout de forêts non exploitées.
    
    La dernière phase de construction (an 18) est allée aussi chercher 
    ses pieux de préférence dans les forêts non exploitées. 
    En 9 et en 18 les arbres de lisière, probablement plus proches avaient 
    tous été utilisés et il a fallu trouver des bois dans 
    des forêts plus lointaines.
    
    Origine des sapins (voir Fig. 5 -A et B)
    Les lisières ont été très peu exploitées 
    et fournissent majoritairement de diamètres de 12 et 13 cm. pour des 
    arbres soit très jeunes (de 20 à 30 ans) soit beaucoup plus 
    vieux (de 60 à 90 ans)
    Les forêts déjà exploitées ont donné surtout 
    des troncs de 12, 13 et 14 cm de diamètre pour des âges de 60 
    à 80 ans.
    Dans les forêts jamais exploitées furent abattus des sapins de 
    12, 13 et 14 cm dont un bon nombre est plus jeune que dans le cas précédent 
    : les âges vont de 50 à 80 ans.
b - 2ème 
    occupation (voir Fig. 4 et 6)
    Nous avons considéré comme valables les dates qui figurent dans 
    les histogrammes : ils sont forcément un peu inexacts mais les orientations 
    générales que l'on en tire doivent être significatives.
    
    Toutes les phases de construction (ans 59/60 et 63/64) ont fait appel aux 
    trois sources d'arbres mais en l'an 60 les forêts non exploitées 
    ont fourni la majorité des pieux. Les lisières (Fig. 
    7-C) ont fourni des sapins de 20 à 40 ans, c'est à dire 
    jeunes ; dans les forêts déjà exploitées ce sont 
    des troncs de 50 à 70 ans qui ont été abattus, mais dans 
    les forêts jamais exploitées l'âge des arbres va de 40 
    à plus de 110 ans. Quand on compare cet histogramme à celui 
    des diamètres on en déduit que :
    
    - les arbres de lisière, utilisés surtout pour les diamètres 
    de 10 à 12 cm, ont une croissance rapide mais la moyenne des diamètres 
    est plus faible (10,60). Les lisières sont plus insolées ce 
    qui explique une croissance plus vigoureuse. 
    
    - les forêts déjà exploitées fournissent le plus 
    grand nombre d'arbres pour des diamètres de 10 à 12 cm (moyenne 
    : 11,45) mais la croissance n'est pas très rapide car il y a beaucoup 
    d'arbres vieux (de 80 à plus de 110 ans) ce qui voudrait dire que les 
    coupes effectuées ont été limitées car elles n'ont 
    pas eu d'impact sur la croissance. 
    
    - les forêts jamais exploitées fournissent la plupart des pieux 
    de 11 et 12 cm de diamètre qui ont la même moyenne (11,40) mais 
    la croissance est assez lente car les âges entre 50 et 110 ans sont 
    très majoritaires. C'est compréhensible pour une forêt 
    dense.
    
    Par rapport à la première occupation, la deuxième a prélevé 
    des arbres de tous âges en particulier des troncs de 30 à 50 
    ans totalement délaissés auparavant : on suppose que les forêts 
    exploitées avaient eu le temps de produire des sapins de cet âge 
    pendant les 40 ans d'abandon, donc l'origine des bois se trouvait dans les 
    mêmes terroirs pour les deux villages.
La densité 
    des troncs varie suivant les zones d'abattage (Fig. 
    7)
    La deuxième occupation a plus utilisé d'arbres de faible densité 
    (nombre de cernes au cm peu élevé) donc à croissance 
    plus rapide que la première : cela est particulière net pour 
    ceux des lisières et des forêts jamais exploitées. On 
    a vu pour la première occupation (Fig. 5 
    -B) que, dans ces mêmes lieux, beaucoup d'arbres étaient 
    jeunes ou peu âgés : cela confirme la croissance rapide des sapins 
    dans les zones antérieurement exploitées, surtout pour les lisières. 
    
    De la comparaison entre lisières et forêts exploitées 
    on peut que les arbres de lisière ont très largement profité 
    d'un ensoleillement maximum, beaucoup plus fort que dans les forêts 
    exploitées ce qui prouve que celles-ci avaient seulement subi des coupes 
    claires. 
6 
    - Périodes d'abattage des arbres (Fig. 
    8 et 9)
    La quasi-totalité des pieux a été abattue durant la période 
    non végétative de l'automne-hiver. Très rares ont été 
    les sapins abattus au printemps ou en été (22 sapins sur 375 
    pour la première occupation, 8 sur 233 pour la deuxième). Pour 
    les frênes, la proportion est plus importante (35 pour 100 coupés 
    en automne-hiver).
    Le diamètre des bois coupés au printemps et en été 
    montre que les sapins et les ormes ont dû servir aux structures car 
    leur diamètre est identique aux poteaux en sapin des grandes phases 
    de construction ( 11, 12 et 13 cm) mais les frênes ont plus été 
    affectés aux aménagements divers, le diamètre inférieur 
    à 11 cm étant le plus fréquent.
7 
    - Les utilisations du bois dans les aménagements
    Il ne nous rien parvenu des élévations des constructions pourtant 
    des restes trouvés sur le sol nous permettent d'en connaître 
    au moins la nature (Fig. 10).
    
    - La fouille a montré que le premier village a brûlé en 
    grande partie après l'abandon car le sol est jonché de madriers 
    (restes des poutres et des chevrons) calcinés. Mais la couche supérieure 
    en comporte aussi (plus de trois fois moins pourtant en pourcentage), ce qui 
    signifie que certains éléments du deuxième village ont 
    brûlé alors que la fouille n'a rien révélé 
    contrairement à ce qu'on a vu sur la couche inférieure
 
    
    
    - les baguettes de houx, noisetier, cornouiller et viorne dont le diamètre 
    ne dépasse pas 2 cm étaient très flexibles. Elles formaient 
    l'ossature qui maintenait les végétaux (mousse, herbe, brindilles, 
    etc.) constituant les murs des maisons : certaines baguettes devaient être 
    plantées dans le sol entre les poteaux et, pour d'autres, leur souplesse 
    permettait de les entrelacer. Elles pouvaient aussi entrer dans la garniture 
    du toit pour serrer et maintenir la couverture végétale. Rien 
    ne permet de privilégier une des deux explications mais elles ne s'excluent 
    pas l'une l'autre.
    
    - l'examen des essences végétales (Fig. 
    2 et 3 -A) des bois travaillés (bois 
    portant des traces de coupe, raclage, entailles, etc.), des copeaux et des 
    baguettes permet de comprendre que les produits de la forêt étaient 
    spécifiquement choisis pour chaque utilisation. Nous venons de voir 
    les baguettes de houx et de noisetier (les plus nombreuses) pour les parois 
    et les toits. La viorne et le fusain font les fuseaux, le chèvrefeuille, 
    l'osier et la clématite (rare) forment des liens. Chêne et tilleul 
    sont pratiquement inexistant : une pirogue de 8 m de long a été 
    creusée dans un gros tronc de chêne mais l'absence totale de 
    copeaux atteste que l'opération n'a pas été effectuée 
    dans le village. Des copeaux sont issus du travail de l'érable, de 
    l'if, du frêne pour les manches ou les cuillères. La deuxième 
    occupation a beaucoup utilisé le frêne, l'aulne et le hêtre 
    dans la construction, ce qui se traduit par présence accrue de leurs 
    copeaux. Le sapin (surtout pour la première occupation), le hêtre 
    et le frêne sont les bois les mieux représentés dans les 
    déchets (copeaux en particulier) ce qui est normal vu leur importance 
    dans la constitution des structures.
    
Bien que la conservation des bois soit meilleure dans le deuxième niveau (car très rapidement immergé) les proportions entre les diverses essences sont généralement proches et s'il y a des différences notables elles s'expliquent par les particularités de chaque village, particularités que nous connaissons par ailleurs, comme le choix différent des essences de bois pour la construction.
8 
    - L'utilisation de la forêt pour l'alimentation 
    En outre, les observations de fouilles et l'analyse de tous les macro-restes 
    végétaux permettent de préciser les modes culturaux, 
    les nourritures et les méthodes d'élevage. Il ne semble pas 
    que la forêt ait subi des coupes claires mais plutôt des déforestations 
    limitées qui ont conservé les plus gros troncs (de chêne 
    en particulier) et les essences fructifères, comme le hêtre et 
    le pommier (faînes et pommes), laissant se développer les haies 
    de noisetier, le houx dont les branches et les feuilles servaient toujours 
    de fourrage. Les espaces ouverts n'étaient utilisés que pour 
    la culture en sillon (céréales et probablement pavot, coqueret 
    et pois) et pas comme pâture à graminées. La reforestation, 
    après abandon par les hommes, se trouvait ainsi facilitée par 
    l'existence des porteurs de graines régulièrement disséminés 
    sur tout le territoire occupé.

L'appel de la bibliographie se présente sous deux aspects : 
    nom et année à retrouver dans la bibliographie générale,
    ou nom, année suivi de " Coll. " (collectif)  se trouve dans 
    la liste Collectif 2005, dans la Bibliographie. Cette liste regroupe toutes 
    les études non publiées.



Fig. 65