Le passage d'Hannibal dans les Alpes
CONCLUSION

Sur la géographie et la topographie

-- développer un trajet sur toute sa longueur dans des régions habitées au moins depuis la protohistoire démontré par les découvertes archéologiques.

-- trouver sur place, en totalité ou en partie, tout au long des étapes, le ravitaillement des hommes et surtout celui des animaux.

-- suivre les grandes voies utilisées, entretenues et surveillées par les Gaulois pour leurs communi-cations à l'intérieur de l'Allobrogie et pour le trafic transalpin : les oppida et les postes de guet en font foi tout au long du parcours.

-- ne jamais présenter de pentes supérieures à 15%.

La route retenue à l'intérieur des Alpes, sera transformée en axe principal de circulation par les Romains comme liaison Vienne-Milan, c'est dire que la voie gauloise devait présenter de bonnes conditions de profil, de tracé tout en offrant des infrastructures techniques (qualité de la chaussée).

-- deux défilés étroits du parcours devaient répondre aux description émises par Polybe, pour entraver la progression de l'armée.

Sur la source littéraire de Polybe

-- J'ai fait entièrement confiance au compte rendu de l'auteur, sans y mélanger des remarques ou des interprétations faites postérieurement par d'autres.

-- J'ai suivi scrupuleusement les indications fournies, en évitant les commentaires subjectifs ou les extrapolations mais conscient des rares problèmes posés par le texte.

-- Jours de marche, difficultés du terrain, emplacement des lieux d'étapes et de combats s'incorporent tous sans problème dans l'itinéraire proposé, sans rajout ni omission.
Dans les défilés de Vimines et du Siaix, par exemple, les incidents de parcours et leurs conséquences correspondent tous à des détails topographiques précis, faciles à retrouver sur le terrain.

En un mot rien que Polybe, mais tout Polybe !

 

Convaincu par des décennies d'archéologie alpine, de l'itinéraire d'Hannibal par la Chartreuse et le col du Petit-Saint-Bernard, je n'ai eu aucune difficulté pour mettre au net mes idées en respectant les règles simples que je m'étais fixé.
J'ai pu me rendre compte de l'exceptionnelle qualité du texte de Polybe : rigueur, exactitude, synthèse en quelques mots quand des précisions n'auraient rien apporter à l'essentiel, réflexions pertinentes sur les choses, les évènements et les hommes. En un mot, un talent d'historien pour les faits, de romancier pour les descriptions, de psychologue aussi.

Voici les directions de recherches émises au départ :

Synthèse du déroulement du parcours

Les spécialistes ont des difficultés pour situer "l'Isle" décrite par Polybe.
J'accepte de la placer, en suivant l'avis de quelques auteurs compétents comme G. Barruol, au confluent de l'Isère et du Rhône,
"Hannibal, ayant marché pendant dix jours le long de la rivière, et ayant parcouru une distance de huit cents stades, commença l'ascension des Alpes. C'est alors qu'il fut exposé à de très grands dangers."
Mais l' Isère, la Morge puis le Guiers, que mon itinéraire va suivre jusqu'aux Echelles, doivent être considérés comme "cours d'eau" par notre historien car c'est la signification de "potamos" en grec :" le fleuve, la rivière; en gén. tout courant liquide," d'après le Bailly.

Des étapes possibles
:
Le confluent Rhône-Isère est à 105 km des Echelles où la route quitte le Guiers. Mais à l'entrée du défilé de Vimines, début de "l'ascension des Alpes et des grands dangers", on est à 125 km du confluent ! Bien près des 800 stades annoncés par Polybe.
C'est donc bien là le point de repère de l'historien qui a partagé la route entre Rhône et col en deux parties : avant les Alpes et dans les Alpes, c'est à dire dans les montagnes.

Reste le problème du temps mis pour faire ces 145 km : 10 jours feraient des étapes journalières de 15 km environ si on marche tous les jours. Ce sont de trop petites marches dans une large vallée bien aménagée par les Allobroges. C'est un paradoxe bien gênant dans le texte de Polybe que j'ai essayé d'expliquer au 2ème chapitre par le silence de l'auteur sur de probables négociations avec les Allobroges.

Des lieux d'étapes peuvent être envisagés compte tenu des capacités d'accueil en terrain ouvert :
-- Si, comme je l'ai proposé, l'Isère a dû être traversée à Beaumont-Montheux, un camp a pu s'établir à côté, après cette difficile opération.
--
le bassin de Romans est à une quinzaine de kilomètres de Beaumont.
--
juste avant le poste gaulois de Saint-Lattier, il y a l'extrémité de la terrasse vaste et plate de Saint-Paul-les-Romans.
-- la plaine de Saint-Marcellin est 15 km plus loin.

-- au sud-est de l'oppidum de Verdun, la plaine de l'Albenc peut servir d'aire de repos.
-- une étape près de Moirans, sur les terrasses de l'Isère
-- une dans le bassin de Voiron sur la Morge ou celui de Saint-Laurent-du-Pont sur le Guiers.

Toutes ces étapes ne sont, bien sûr, qu'hypothétiques mais possibles d'après la topographie.

Les étapes plus assurées :
-- Après le Guiers et les Echelles, dans la vallée de l'Hyère en Chartreuse,
Le premier danger dans le défilé de Vimines obligea de passer une nuit près de Saint-Thibaud-de-Couz,
C'est à partir de là que Polybe commence le décompte des neufs jours de la traversée des Alpes.

Montée au col
-- Jour 1 : arrivée à Chambéry après la fin des combats et des difficultés rencontrées dans le défilé de Vimines.
-- Jour 2 : consacré au repos et au regroupement des troupes dans le bassin de Chambéry.
-- Jour 3 : étape Chambéry-Montala (près de Saint-Jean-de-la-Porte) de 25 km ; trajet tranquille.
-- Jour 4 : étape Montala-ad Publicanos (près d'Albertville) de 25 km ; trajet tranquille.
-- Jour 5 : étape ad Publicanos-Obilonna (près de Cevins) : peut-être pentes sur deux kilomètres près de Conflans. Contacts "amicaux" avec les Ceutrons. 15 km.
-- Jour 6: étape Cevins-Darantasia (Moûtiers), 15 km sans encombre malgré la pente avant d'arriver à Moûtiers (dans les "échelles d'Hannibal").
-- Jour 7: étape Darantasia -Villette. Durs combats du défilé du Siaix. Nuit forcée à Centron-Villette après 10 km pour regrouper l'infanterie et se remettre
-- Jour 8 : . Infanterie, chevaux et bêtes de somme se rejoignent. 17 km avec quelques escarmouches sans gravité.
-- Jour 9 : Bourg-Saint-Maurice. 17 km de montée pénible au col avec quelques escarmouches.

Descente du col
-- Un jour de repos au col pour attendre les traînards.
-- Trois jours pour faire descendre les troupes et les éléphants vers la Thuile. 9 km de descente à 7% de moyenne.
-- Un jour : 9 km de descente à 5% puis arrêt à Morgex, l'Arebrigium de la Table de Peutinger à 14,5 km de la Thuile.
-- Un jour : pour aller vers Aoste. 28 km depuis Morgex.

Dans les Alpes il a fallu neuf jours pour monter au col, six jours pour en descendre, cela fait bien les quinze jours énoncés par Polybe.

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La Tronche novembre 2006
Je ne porte aucun jugement sur les études antérieures,
Je présente seulement le récit de la traversée des Alpes à la lumière du texte de Polybe, de la géographie, des possibilités techniques de l'époque et de l'archéologie.
La Tarentaise
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L'ARMEE CARTHAGINOISE DANS LES ALPES

Ce n'était pas une armée de citoyens car les citoyens carthaginois étaient incorporés dans des unités territoriales qui intervenaient seulement pour la défense même de Carthage en Afrique et non en Espagne. Des Gaulois servirent dans l'armée punique et leur rôle fut très important ; ils furent très utiles et souvent sacrifiés . Ils n'entrèrent vraiment en scène qu'après l'arrivée dans la plaine du Pô, où Hannibal avait prévu de les incorporer pour combler les vides faits dans son armée par la traversée des Alpes. Le général carthaginois emmenait avec lui une cavalerie nombreuse. La majeure partie en était constituée de Numides , contingents auxiliaires, dont l'engagement aux côtés des Puniques tenait à des alliances anciennes. Dans cette armée d'Hannibal, la particularité la plus notable est la place qu'y tenaient les éléphants. Les Puniques n'avaient pourtant pas été les initiateurs de leur utilisation guerrière car c'est Alexandre qui avait eu le premier la révélation de ces bêtes au combat, lors de la ba-taille d'Arbèles , en 331, puis dans la vallée de l'Indus. Les Carthaginois adoptèrent rapidement ce nouveau moyen militaire, dont ils avaient pu constater, à leurs dépens, l'efficacité dans leurs combats contre Pyrrhus. On se souviendra de leur contribution à un premier grand succès d'Hannibal dans la bataille livrée sur le Tage en 220. Leur figuration fréquente à l'avers du monnayage punique d'Espagne fait d'ailleurs de l'éléphant l'animal quasi totémique des Barcides. Et ce sont ces représentations, entre autres, qui permettent de les classer non point dans la catégorie des éléphants d'Asie, dont la hauteur à l'épaule atteint souvent trois mètres, ni non plus dans celle des éléphants de brousse africains, qui dépassent cette taille, mais dans la variété des éléphants de forêt, de plus petite taille et aux longues défenses . Dans ses "récits libyens ", Hérodote les signalait déjà au Ve siècle av. J.-C. dans les confins sud de la Tunisie actuelle, tandis que le Périple d'Hannon (vers 425 av. J.-C.) les situait dans les régions côtières du Maroc. Pline l'Ancien s'accorderont à leur reconnaître un habitat aux pieds de l'Atlas marocain et dans le Rif, non loin des " Colonnes d'Hercule ". Dans ces diverses contrées du Maghreb antique, où la couverture forestière était alors bien plus importante que de nos jours, ils se sont maintenus jusqu'aux premiers siècles de notre ère, et leur extinction y paraît moins due à des variations climatiques qu'à la chasse systématique dont ils furent victimes, en particulier pour approvisionner les amphithéâtres de la Rome impériale, grande consommatrice, dans ses jeux, d'animaux sauvages. Au printemps 218, Hannibal emmena avec son armée un troupeau de trente-sept éléphants, tous vraisemblablement de l'espèce africaine. Leur relative petite taille interdisait qu'on les harnache d'une tour de combat : ne prenaient place sur leur dos que des cornacs, que Polybe (III, 46, 7) appelle des "Indiens " (Indoi), non qu'ils fussent nécessairement tous originaires des Indes, mais parce que ce nom était consacré par l'usage. Les historiens dissertent sur les chiffres de combattants de l'armée d'Hannibal depuis son départ d'Espagne. Hannibal savait bien que ses effectifs fondraient tout au long de la route qui allait le mener de Carthagène à la plaine du Pô et il lui fallait donc les grossir le plus possible au moment du départ. Polybe (III, 35) les évalue alors à environ 80 000 fantassins et 12 000 cavaliers. Avant de franchir les Pyrénées, Hannibal laissa à un de ses lieutenants 10 000 fantassins et 1 000 cavaliers, et il en renvoya tout autant chez eux. Il passa les Pyrénées avec le reste de son armée, qui rassemblait alors, selon Polybe (III, 35), 50 000 fantassins et 9 000 cavaliers. Ce qui voudrait dire que lors des combats menés au nord de l'Espagne il aurait per-du 21 000 hommes, ce qui paraît beaucoup. Après le passage du Rhône, l'armée punique n'aurait plus compté que 38 000 fantassins et 8 000 cavaliers (Polybe, III, 60), soit en tout 46.000 hommes : Hannibal aurait donc perdu encore près de 13 000 soldats depuis son entrée en Gaule, alors qu'il ne semble pas avoir dû faire face à des combats sérieux dans cette partie de la campagne. Quand enfin il parvint en Italie, il ne lui restait plus que 20 000 fantassins et 6 000 cavaliers : cette indication est la seule qui semble certaine, puisqu'elle figurait parmi les données chiffrées de la fameuse inscription du cap Lacinion : " Mes informations proviennent d'un mémoire que j'ai découvert moi-même au cap Lacinium, sur une table de bronze où Hannibal l'avait fait graver pendant son séjour en Italie ; j'ai considéré comme certaine l'authenticité des faits qu'il contient et j'ai cru pouvoir me fier à ce document. (Polybe, III, 33) ".