Les seules accumulations d'argile forment des nappes plus ou moins épaisses aux contours irréguliers, vaguement circulaires, toujours placées à l'intérieur des maisons dans les deux villages (Fig. 30 et 31) ; ce sont des chapes foyères souvent évoquées dans divers publications mais récemment synthétisées (Bocquet 2005, Coll.).
De très rares, petites et minces loupes d'argile pure occupaient quelques décimètres carrés à l'intérieur du fumier lacustre ; on n'en connaît pas la signification (petite réserve pour la confection des vases?).

L'ARGILE

De texture plastique, fine et grasse, la couleur tourne toujours autour du gris-vert. Nous avons fait, en 1974, des analyses sédimentologiques à l'Institut Dolomieu de Grenoble qui montraient une courbe bi-modale : une partie fine régulière et conforme à la pente des dépôts d'argile morainique ou glaciaire et une partie très hétérogène, de granulométrie nettement plus grosse allant du sable au petit gravier. La conclusion fut qu'on était en présence d'un mélange intentionnel d'argile pure, de sable et de gravier.

Une analyse ultérieure à but céramologique établit que l'argile des chapes avait les mêmes caractéristiques que celle des céramiques, pour ce qui était des quelques échantillons choisis (Billaud 1982, Coll.).
L'origine du matériau, pour les chapes comme pour les vases, est donc très vraisemblablement locale, soit près du déversoir qui entame un lit d'argile en aval du site, soit ailleurs dans la proche région couverte de moraines aux dépôts lités avec cailloux, gravier, sable et éléments fins argileux.

LES CHAPES (Fig. 32)

Seulement deux furent vraiment fouillées car, vide de vestiges, leur texture compacte était très difficile à attaquer dans l'eau. En outre cela représentait un travail long tant pour l'extraction que pour la vidange du sédiment, non rentable archéologiquement donc inutile.
Pour la plupart on en connaît seulement les bords ce qui est suffisant pour en apprécier l'étendue mais en réalité elles devaient être plus restreintes à l'origine car la masse d'argile a " bavé " sur sa périphérie.
A de très rares exceptions près, il n'y avait pas de plaques d'argile rubéfiée en surface (Fig. 32) : on a seulement retrouvé des " boulettes d'argile " cuites, de 1 à 2 cm de diamètre, incluses dans le fumier des couches. Etaient-elles des résidus issus du nettoyage des chapes ?

1 - Les chapes superposées dans les deux couches d'occupation

Chape N°1

La première fouillée, elle fut dégagée partiellement car on voulait voir comment la masse d'argile se présentait en stratigraphie (Fig. 33). Cette chape nous démontra sans ambiguïté que les maisons n'étaient pas construites sur plancher surélevé car la craie lacustre avait été " poinçonnée " sous le poids de l'argile qui s'enfonçait profondément, ce qui avait nécessité des " rechapages " successifs pendant l'occupation (Fig. 35).

La stratigraphie montra aussi que la chape était constituée de deux parties superposées, mises en place au cours des deux occupations : ces deux couches étaient séparées par des lambeaux du limon intermédiaire stérile correspondant à la période d'abandon du site (couche B.2).

La première couche d'argile reposait sur un fin niveau de craie " cendreuse ", sale, recouverte par quelques centimètres de fumier végétal : elle ne fut pas posée au tout début de l'occupation qui avait eu le temps de laisser quelques traces.
Sa surface ne devait pas être importante lors du premier village mais elle s'est agrandie dans le deuxième village avec, à l'intérieur de l'argile, des planches de frêne (20 à 30 cm de large sur près de 2 m de long) posées parallèlement de direction N-S.
Sa partie sud avait été en partie ouverte par le sondage de H. Müller en 1921.

Chape N°2 (Fig. 34, 36, 37 et 38)
La chape N°2 fut, elle, entièrement exploitée car rapidement on a vu qu'elle possédait des planches placées à plat à différents niveaux : on voulait comprendre sa structure et son évolution. Cette tâche ardue, enlever plusieurs mètres cubes de sédiment compact, s'est prolongée pendant plusieurs campagnes avec une rotation fréquente des fouilleurs qui appréciaient peu ce travail ingrat et pénible…

Dans de bien mauvaises conditions d'exploitation, l'effort des plongeurs se révéla du plus haut intérêt comme le montre la complexité des couches et les lits de planches de frêne dont certaines éclatées d'un même arbre, ce qui atteste une mise en place au cours de la même phase (Fig. 36 et 37 D).

On a pu en comprendre la construction au cours des deux occupations :
- un lit d'argile épais et régulier est étendu directement sur la craie : il a bien été déposé lors de l'arrivée des hommes et n'a subi aucune modification au cours de sa durée.

- il est recouvert par des restes de bois calcinés (incendie peu avant l'abandon en l'an 20) puis par le niveau de limon hétérogène de la phase d'abandon (couche B.2).

- son évolution (Fig. 38) lors de la deuxième occupation est bien plus complexe:
--- une première chape de surface restreinte est répandue par plusieurs apports successifs au-dessus de quelques madriers horizontaux de sapin fendus par le milieu de direction est-ouest ; il y a aussi d'une extraordinaire planche régulière de 45 cm de large, 2 à 3 cm d'épaisseur et de 3 m de long, éclatée d'un sapin de 90 cm de rayon (ci-dessous) … Cette planche est datée de la première occupation : est-elle restée en place de cette époque ou a-t-elle été récupérée 40 ans plus tard ?

--- Un deuxième niveau d'argile déposé en plusieurs phases repose encore sur des planches de frêne disposées à plat toujours de direction est-ouest.
Par-dessus un dernier niveau posé sur des planches de frêne, maintenant de direction nord-sud, est maintenu sur deux mètres à l'est par une forte planche verticale en frêne (Fig. 37 B), bloquée par deux piquets.

Cette chape est très épaisse dans la deuxième occupation (maximum de 60 cm). La présence de longues planches parallèles, mises en place lors de chaque " rechapage ", s'explique probablement par la volonté de laisser s'enfoncer la masse d'argile dans un sédiment, peut-être rendu plus meuble par plus d'humidité que lors de la première occupation : cet enfoncement, bien que de faible amplitude, se marquent dans le bouleversement des planches les unes par rapport aux autres.

On remarque que le dernier aménagement comporte une planche verticale pour limiter la zone foyère d'un coté sud.
La figure 36 synthétise la construction et l'évolution de cette chape complexe.


Chape N°3 (Fig. 34)
Elle est très simple dans sa constitution :
Une première loupe d'argile déposée directement sur la craie est recouverte d'une épaisse couche de limon d'abandon.
La deuxième occupation a mis en place, en une seule opération, une épaisse couche d'argile de faible dimension, au-dessus d'un dépôt de détritus et de pierres de chauffe.

Chape N°4 (Fig. 34)
Le centre de la chape, homogène et épaisse de 20 à 30 cm, repose directement sur la craie, donc date du tout début de l'occupation. Si elle est séparée de la craie lacustre par une très fine couche organique sur son bord nord-ouest, c'est qu'elle a " bavée " car au sud-est, elle est limitée par deux planches verticales qui forment un angle ouvert vers le nord. Après son abandon en cours d'occupation, elle est recouverte par une couche de débris organiques avec des pierres de chauffe.

Dans le deuxième village, des éléments d'occupation s'étalent avec végétaux et quartzites cassés sur la couche limoneuse d'abandon puis une vaste nappe d'argile les recouvrent largement avec quelques larges et longues planches de frêne orientées NE-SO. La chape a connu ainsi une durée d'utilisation pendant la deuxième occupation mais ni à son début ni à sa fin.

Chape N°8 (Fig. 34)
Déposée dans un deuxième temps après le début de la première occupation, elle dura jusqu'à la fin. La partie supérieure est plus complexe avec une faible couche d'occupation puis un premier dépôt d'argile suivi une deuxième couche d'occupation ; une dernière nappe argileuse est ensuite utilisée jusqu'à la fin du village.

Chape N°9 (Fig. 32)
Elle repose sur un lit de fumier et des détritus la recouvre : elle n'a donc fonctionné qu'au cours de l'occupation. Ceci concorde avec la vie de la maison 4 qui va de l'an 4 à l'an 18 du site. Cette chape a été bien appareillée dès sa mise en place : elle est retenue par deux planches verticales à l'est et à l'ouest (voir la coupe 9, entre 11 et 113) .

2 - Les chapes présentes seulement dans la couche inférieure d'occupation

Chape N°10 (Fig. 32)
Une petite et mince loupe d'argile, en bord de la fouille donc mal connue, ne reposait pas sur la craie et n'était pas recouverte de traces d'occupation : placée dans la maison 1 qui a disparu avant la dernière reconstruction, on n'en comprend la nature.

Chape N°11 (Fig. 32)
Dépôt d'argile peu épais au-dessus d'une couche d'occupation antérieure à sa mise en place : elle a existait seulement à la fin de la première occupation.

3 - Les chapes présentes seulement dans la couche supérieure d'occupation (Fig. 32)

Chape N°5 (Fig. 39)
Vaste nappe d'argile déposée tout à fait à la fin de la deuxième occupation car elle recouvre une très épaisse couche de fumier et de pierres de chauffe.

Chape N°6 (Fig. 39)
Très mince dépôt d'argile au-dessus de la craie lacustre recouverte d'une couche d'occupation postérieure à sa mise en place : elle a existait seulement au début de la deuxième occupation.

Chape N°7 (Fig. 39)
C'est une énorme masse d'argile, épaisse et vaste, mise en place à la fin de la deuxième occupation. Un polissoir de molasse était placé au-dessus.

4 - Chapes entourées de pieux (Fig. 40)

Quatre chapes entourées de pieux en orme ou en érable ont tout de suite attirées notre attention à la fouille par leur disposition particulière souvent formant un quadrilatère. Les dates qui nous ont été données (voir chapitre de l'architecture des maisons) ne nous satisfont pas car les observations de terrains attestent, sans aucun doute, leur contemporanéité avec le dépôt des masses d'argile. On ignore leur rôle exact mais on peut supposer qu'ils supportaient une sorte de cheminée au-dessus du foyer dans le genre des cheminées " sarrazines ". La constance du bois blanc, que la porosité rendait facilement humide puisque enfoncé dans la nappe phréatique assez superficielle, est peut-être liée cette utilisation.

CONCLUSION SUR LES CHAPES

Nous avons vu que les chapes foyères n'ont pas été réalisées de la même manière pendant le premier ou le deuxième village sans que l'on en connaisse les causes : habitudes familiales, raisons techniques ou de spécialisations des activités ?

Le coffrage par planches verticales étant commun aux deux villages, celles du premier semblent peu " sophistiquées ", le plus souvent un simple dépôt d'argile non repris au cours de la longue utilisation ; par contre celles de la deuxième période sont plus complexes avec des couches successives, des planches et madriers incorporés.

Peut-être est-ce pour des raisons mécaniques, le sol du deuxième village aurait été, dans certain cas, plus meuble donc moins résistant au poids avec une craie davantage gorgée d'eau par une légère remontée du niveau du lac. Certains autres constatations et analyses le laisseraient penser.

Les chapes foyères, constituant majeur de la vie quotidienne, ont représenté un élément souvent déterminant pour établir la chronologie des constructions et leur évolution, surtout quand la dendrochronologie est défaillante dans le deuxième village. Nous avions mesuré leur importance dès le début des fouilles et, malgré les difficultés à les exploiter, nous nous sommes efforcés d'en établir la stratigraphie ce qui a été fondamental pour la compréhension générale du site et des ses activités.

 

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Bibliographie

L'appel de la bibliographie se présente sous deux aspects :
nom et année
à retrouver dans la bibliographie générale,
ou nom, année suivi de " Coll. " (collectif) se trouve dans la liste Collectif 2005, dans la Bibliographie. Cette liste regroupe toutes les études non publiées.

Chape posée sur la craie

1 -couche supérieure (B.1)
2 - Couche d'abandon (B.2)
3 - Couche inférieure (B.3)
4- petit niveau de fumier
5- Craie lacustre

Grande planche de sapin à l'intérieur de la chape N°2
La planche ci-contre repose sur le limon de la couche d'abandon (avec charbons de bois de l'incendie) ; elle est recouverte de l'argile de la chape supérieure.
Planche de sapin verticale qui sépare
la chape à gauche et le fumier à droite.
Planches de hêtre posées côte à côte sur l'argile. Elles ont été tirées du même tronc.
- En rouge pieux en orme autour du foyer N°1
- en vert planches de hêtre posées à plat dans l'argile.
LES CHAPES D'ARGILE ET LES ZONES FOYÈRES