AVANT-PROPOS

A - A Charavines, une archéologie de pionniers, par des bénévoles et avec des méthodes et des techniques nouvelles

Les fouilles
A Charavines furent appliquées les techniques naissantes d'exploitation subaquatique des gisements lacustres, déjà mises en œuvre depuis 1955 par Raymond Laurent avec le ramassage positionné des vestiges à l'aide du scaphandre autonome. Avec lui et Michel Colardelle, nous les avons adaptées à une véritable fouille en stratigraphie, avec tamisage total des sédiments contenant les restes, telle qu'elle était pratiquée sur les sites terrestres ; la seule différence était que la base du repérage dans l'espace était le triangle équilatéral, plus facile à construire dans l'eau et non le carré utilisé sur terre (Bocquet 1976, 1978, Billaud 1978, Cura 1978, Danerol 1980 Coll . et Bocquet 1979 et 1995, Orcel 1982).
Avec les équipements techniques spéciaux mis au point il n'y a pratiquement plus aucune différence entre l'air libre et l'eau dans l'extraction des vestiges : l'expérience réussie de Charavines a convaincu le Ministère de la Culture de l'opportunité de créer en 1980 un organisme spécifique avec le Centre national de recherches archéologiques subaquatiques (le CNRAS incorporé depuis 2000 dans le Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines, le DRASSM).

L'archéologie subaquatique était reconnue en France dans la spécificité de ses méthodes et de ses résultats. Sa seule limite est la surface à fouiller : pour de très grands sites, la mise au sec, par la construction de palplanches, est plus rentable en temps et en moyens, comme les archéologues suisses l'ont si bien démontré depuis quelques années... Mais un terrain asséché compacte les couches et la délicatesse de la fouille n'est plus la même que dans l'eau, pour les vestiges très fragiles, principe d'Archimède oblige...

B - La dendrologie
Cette science, fondée sur l'étude des arbres, a amené des connaissances que, par absence de bois, les sites terrestres ne pouvaient pas apporter tant sur la datation des artefacts que dans de multiples aspects de la vie quotidienne des hommes comme leurs habitats, la gestion des forêts et l'utilisation de la matière végétale car le Néolithique peut être appelé " âge du bois ".
Les pieux de bois, que l'eau conserve bien et qui forment l'ossature des structures d'habitat, recèlent des archives chronologiques et climatologiques que la science devait exploiter.

La dendrochronologie, déjà pratiquée aux USA, existait en 1972 sous forme expérimentale en archéologie suisse et allemande (l'Université de Caen, sous la responsabilité du Professeur De Boüard, commençait aussi à mettre en œuvre ce moyen de datation pour le Moyen-Âge.) ; aucun laboratoire n'existait encore en France mais nous avons, tout de même, récolté et conservé les échantillons de tous les bois coupés à la fouille.

Dès le début, en 1972, j'étais donc persuadé que nous pourrions un jour analyser les bois par la dendrochronologie et, bien qu'aucun laboratoire ne puisse encore le faire en France, nous avons prélevé deux rondelles de chaque pieu découvert à la fouille et, plus tard, de tous ceux qui étaient visibles dans les zones non fouillées.

En 1974 nous avons profité de la création d'un laboratoire à Neuchâtel auquel participa C. Orcel ; M. Egloff, responsable des recherches lacustres, l'autorisa à se servir des instruments de mesure pour analyser les bois de Charavines. Les analyses furent exécutées par la suite au Laboratoire romand de dendrochronologie à Moudon puis à Archéolabs, toujours sous la direction de C. Orcel.

Les premiers dendrochronologues européens n'étudiaient que le chêne et nous n'en avions pas, seulement du sapin et des " bois blancs " ; C. Orcel a adapté les mesures au sapin malgré l'incrédulité des spécialistes et ça a marché ! En automne 1975, nous présentions à Lyon (Bocquet et Orcel 1975, Bocquet 1977 et 1985) les premiers plans de maison et les trois phases de construction du premier village : tout reste valable aujourd'hui, sans réserve ni retouche…
Que de chemin parcouru depuis l'époque des travaux pionniers à Charavines, car les sites subaquatiques nous ont tous imités. Pourtant la dendrochronologie a ses limites, celles de ses capacités d'analyses et de la fiabilité de certains de ses résultats : nous les verrons plus loin avec les structures du deuxième village.

 

Dendroclimatologie
Les courbes de croissance des arbres livrent aussi de précieux renseignements sur leurs condi-tions de vie, l'ambiance végétale, l'exposition, les caractères de la forêt et les actions humaines. Avec les troncs C. Orcel et son équipe (Orcel et Dormoy 1993) ont retracé l'économie et l'utilisation des ressources forestières : proche de la nature l'homme faisait le meilleur choix des essences pour ses diverses utilisations et savait être attentif à une bonne gestion de la nature. Là encore Charavines reste un modèle très démonstratif de ce que l'archéologie peut et doit apporter à la connaissance des hommes et des environnements anciens.

C - La conservation des précieux objets de bois
Le bois est à l'origine d'un nombre élevé d'objets dégagés sous l'eau : on les conservait provisoirement dans des sacs étanches remplis d'eau mais cette solution n'était que provisoire, il fallait appliquer un traitement conservateur plus définitif.
Dès la fin des années 60, Grenoble possédait au Centre d'études nucléaires (CENG) une équipe qui appliquait aux objets d'art en bois la méthode du styrène radiodurcissable sous rayons gammas. Les essais sur les premiers objets sortis à Charavines se montrèrent très inconstants car le bois avait trop perdu ses qualités mécaniques et sa résistance au cours des millénaires.

Une autre méthode devait être trouvée : nous avons pensé à la lyophilisation de plus en plus utilisée dans l'industrie et des contacts furent pris avec les dirigeants d'Usifoid, spécialisés dans cette technique pour les médicaments et l'alimentation (Bocquet et Vin 1982, Coll.).

Pionniers de la méthode avec le traitement sur place d'un bateau antique trouvé dans les fouilles de la place de la Bourse à Marseille, ils se sont intéressé à nos problèmes. Ils nous ont prêté, en 1979, un lyophilisateur avec lequel nous avons mis au point les protocoles de traitement à Grenoble, avec des résultats rapidement acceptables. Ceux-ci étaient pourtant en phase d'essai et nous ne nous sommes pas autorisés à traiter les premiers objets exceptionnels et uniques comme les poignards emmanchés, un arc, des peignes ou un fond de panier…

Ils ont été envoyés en Suisse aux musées de Zürich et de Neuchâtel dont les laboratoires performants utilisaient des techniques très sophistiquées (éther-alcool-résine et Arigal C) ; les résultats furent excellents pour notre plus grande satisfaction.
Dès 1984, la lyophilisation était pratiquée au CNRAS à Annecy, sur la base de nos protocoles et après des mises au point complémentaires par G. Brocot.

D - Le moulage des objets de bois
Nous avons toujours eu conscience que les traitements conservatoires appliqués aux bois gorgés d'eau n'auraient pas une pérennité assurée à moyen ou long terme et que des modifications de forme ou de dimensions pouvaient se produire parfois très vite, ce qui est confirmé aujourd'hui après un recul de 20 à 30 ans.

Donc dès leur sortie de l'eau et avant tout traitement, nous les avons moulés avec des silicones afin de tirer des moulages fidèles des objets originaux, moulages conservés comme archives non périssables. Les premiers furent ceux des poignards de 1974, avec une technique et des produits dentaires que je maîtrisais bien et qui furent améliorés par la suite par G. Brocot au CNRAS.

En tout, 143 moules conservent les caractéristiques originelles des plus spectaculaires des objets en bois et peuvent servir à confectionner des reproductions à des fins documentaires, pédagogiques ou autres. Cette précaution nous semblait évidente pour garder la trace d'objets fragiles dont le traitement pouvait affecter la morphologie et dont la conservation était sujette à trop d'impondérables.

E - L'extraction de témoins pour les présentations muséographiques
Dès le début nous avons le souci de conserver des témoins de nos méthodes et de ce que nous avions eu la chance de voir et de fouiller sous l'eau. Les photos subaquatiques prises dans une eau souvent turpide étaient incapables de fixer les détails de ce que nous allions détruire.

C'est pour cela que nous avons extrait des illustrations concrètes de nos travaux, , malgré de grandes difficultés techniques et le temps passé... pour les bénévoles le temps ne compte pas, n'étant pas soumis aux impératifs de rentabilité !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

F - Les " premières " scientifiques livrées par le site
Les vestiges habituels d'un habitat néolithique, céramiques, outils et éclats de silex, pierres polies, restes de faune, etc. furent le lot habituel des campagnes de fouilles. Mais d'autres éléments beaucoup plus rares ou encore inconnus en France ont ému et stupéfié les fouilleurs. Citons les plus spectaculaires et les plus notables.

Un premier manche de hache en érable voit le jour en 1973 : il fait l'admiration incrédule des préhistoriens réunis à Valence en novembre, eux qui n'exhumaient que les pierres polies des haches.

En 1974, deux poignards en silex ayant conservé leurs très fragiles manches en bois sont sortis en moins d'une semaine grâce à notre technique de dégagement sous l'eau. Si les poignards en silex sont bien connus, ceux-ci ayant conservé leur fragile garniture en matière organique sont extraordinaires et uniques en Europe ; leur découverte explique la joie manifestée par toute l'équipe et l'admiration du Prof. J. P. Millotte présent sur le site... Leur importance était telle que la publication scientifique intervint dans l'année qui suivit.

Les campagnes suivantes ont livré de nouveaux manches de hache ou d'autres outils, de nouveaux poignards, des objets énigmatiques qui chaque année augmentaient l'intérêt du site et la curiosité des chercheurs.

Et les records tombaient : le plus ancien cuivre des Alpes venu du Languedoc, de l'ambre arrivé de la Baltique et qui n'avait jamais été attesté avec certitude au Néolithique en France, le plus vieux panier néolithique d'Europe, des tissus encore inconnus à cette époque comme le velours, des épingles en houx, une aiguille à coudre en bois, un arc complet en if et une rame entière en hêtre qui restent les mieux conservés de France, des fuseaux à filer, des quantités de fil, pelotes, cordes et ficelles, des peignes à tisser en buis de forme ignorée, des cuillères en if, des outils de silex venus des bords de la Loire, de nouveaux petits outils de silex mystérieux, les microdenticulés, encore jamais reconnus en France qu'on retrouvait par centaines, de longs cheveux blonds… La liste est longue des vestiges nouveaux ou seulement connus dans les publications du matériel lacustre suisse.

Les analyses menées de front précisaient les dates, l'origine des matériaux, les procédés de fabrication. Des publications rapides faisaient connaître aux préhistoriens et au public l'extraordinaire Néolithique découvert à Charavines. Quinze ans de campagnes d'été dans l'eau, sous le soleil ou la pluie, quinze ans de longs mois passés par une équipe de bénévoles à trier, classer, restaurer, dessiner le matériel en laboratoire, quinze ans de bonheur et de découvertes !

 

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Bibliographie

L'appel de la bibliographie se présente sous deux aspects :
nom et année
à retrouver dans la bibliographie générale,
ou nom, année suivi de " Coll. " (collectif) se trouve dans la liste Collectif 2005, dans la Bibliographie. Cette liste regroupe toutes les études non publiées.

Coût des fouilles et des études sur le site de Charavines-les Baigneurs

 

La lyophilisation
A gauche : bois à la sortie de l'eau.
A droite :
- en haut, moitié du bois lyophilisé
- en bas, moitié du bois laissé deux jours à l'air libre.
(expérience de Grenoble en 1979)

Premier poignard emmanché
reposant sur le fumier lacustre
Le premier manche découvert a été traité au Musée de Zürich. La méthode à l'alcool-éther-résine redonne au bois sa couleur d'origine.
Peigne traité au Musée de Neuchâtel (Arigal C)
Le premier poignard à sa sortie
sur le bloc de terrain.
Relevé sous l'eau du grand vase écrasé à plat.
Après imprégnation durcisssante, le bloc du vase est prêt pour une exposition.
Un grand vase écrasé à plat est découvert puis fouillé.
A droite et en haut, en noir, le pieu 226.
Sortie du bloc de terrain avec le vase écrasé et qui ne sera pas plus fouillé.
Un exemple d'extraction de témoins

Moulages des premiers poignards :
les originaux sont aussi sur la photo...