Dans les vallées supérieures de l'Arc et de l'Isère en Savoie, et celles des Doires Baltée et Ripaire sur le versant italien se met en place le premier peuplement de la haute montagne, au coeur des Alpes. Des arguments archéologiques et géographiques témoignent de l'occupation de part et d'autre de la ligne des crêtes, à cheval sur la Savoie et l'Italie, formant un domaine isolé et culturellement homogène.

L'archéologie
Sur moins de cent trouvailles isolées ou sites néolithiques du département de la Savoie, 29 se placent en Maurienne et 13 en Tarentaise; ceci témoigne d'une implantation humaine peu commune à cette époque pour des
régions montagnardes aux surfaces exploitables relati-
vement restreintes.
Les vestiges alpins savoyards du Néolithique sont exclusi-
vement localisés à la partie haute des vallées, en amont de
Moûtiers pour l'Isère, en amont de Saint-Jean-de-
Maurienne pour l'Arc alors qu'aucun n'existe en aval
jusqu'au Sillon alpin. Ce vide archéologique est bien visible
sur la carte.
Culturellement la haute Tarentaise possède, à Aime,
une nécropole avec tombes de type "Glis-Chamblandes"
ainsi qu'à Bellecombe; la haute Maurienne offre aussi
d'autres éléments de la Civilisation de Cortaillod (Grotte
des Balmes à Sollières-Sardière).
Au Néolithique moyen ces deux régions pré sentent donc
une imprégnation culturelle identique issue du faciès
valaisan et vaudois de la civilisation de Cortaillod; rien
d'étonnant à cela car Tarentaise et Maurienne sont reliées
par le col de la Vanoise sur une voie fréquentée depuis
toujours par les paysans et les marchands locaux, entre
Pralognan, Entre-Deux-Eaux et Termignon.
Mais pour expliquer l'origine de ce peuplement spécifique
en Savoie alpine il faut se tourner vers le versant oriental
italien, en Val d'Aoste où huit nécropoles à coffres "Glis-
Chamblandes
" ont directement leur origine dans le Valais suisse à travers le col du Grand-Saint-Bernard. Dans le Val de Suse la nécropole de Chiomonte-la Maddalena et son habitat ont la même provenance culturelle. Comme entre les portions supérieures de la Doire Baltée et de la Doire Ripaire il n'existe aucune possibilité de communication aisée à travers les chaînes piémontaises orientées ouest-est, le Val de Suse a dû être atteint à partir de l'est, par le canal de la Tarentaise puis de la Maurienne et les cols de la zone du Mont-Cenis.

La géographie
Le relief et la topographie expliquent l'isolement de ces deux régions: haute Maurienne et haute Tarentaise communiquent avec le Sillon alpin, à l'ouest, par 30 à 40 km de gorges profondes où les bords abrupts, le fond étroit et les rivières tumultueuses rendent le passage quasi impossible sans infrastructures. On a vu qu'elles ne possédaient pas de vestiges néolithiques et aujourd'hui encore elles abritent peu de villages. Par contre, en amont, les roches plus tendres ont été modelées en relief adouci par les érosions glaciaires et offrent des bassins étagés propices à l'habitat, à la culture et à l'élevage sur des replats ensoleillés comme à Aussois en Maurienne; des cols aisément praticables, le Petit-Saint-Bernard et ceux du Mont-Cenis, les font communiquer sans difficulté avec le Val d'Aoste et le Val de Suse. Une barrière à la pénétration humaine à partir du Sillon alpin s'établit non pas à la ligne de partage des eaux placée sur les plus hautes crêtes, sur la frontière actuelle, mais bien plus à l'ouest au niveau de la chaîne granitique des massifs centraux, qui court entre le Mont-Blanc et le massif de Belledonne-Sept Laux, seulement entaillée par l'Arc et l'Isère.
Quand l'infrastructure routière héritée de l'empire romain est tombée en ruine, aux VIIIe-IXe siècles, l'évêque de Moutiers est devenu suffragant de celui de Sion, ce qui prouve que même à cette époque il était plus aisé pour un Tarin de se rendre en Valais plutôt qu'à Chambéry : les anciens chemins plusieurs fois millénaires reprenaient du service...

Ainsi sont rassemblées en un territoire géographiquement et culturellement homogène quatre hautes vallées alpines, celles de la Doire Ripaire, la Doire Baltée, l'Arc et l'Isère dont le peuplement initial provient de Suisse par le haut Rhône. C'est le début d'une entité alpine sur des terroirs favorables à une économie agro-pastorale, à une époque où le climat était plus clément que l'actuel car la limite supérieure de la forêt était 200/250m plus haute qu'aujourd'hui. Cette implantation permanente a mis en valeur la haute montagne, malgré les péjorations climatiques postérieures auxquelles il fut fait face avec de grandes capacités d'adaptation; les premiers Alpins ont su se plier aux dures réalités montagnardes et tirer profit des possibilités des ressources et des voies de communications.

Une bonne raison pour occuper le coeur des Alpes: fabriquer des haches polies

Bien des témoignages nous sont parvenus sur le trafic des marchandises à travers les cols, induisant des échanges entre les hommes. Sans insister sur la variété des ressources ayant fait l'objet de commerce, nous retiendrons la fabrication des haches en roches vertes dont les filons sont localisés, pour leur grande majorité, sur le versant oriental du massif, dans ce que les géologues appellent la "zone piémontaise".
C'est là que réside la raison principale de cette colonisation permanente de la haute montagne, qui serait difficile à expliquer si on n'envisage pas l'exploitation systématique et intensive des roches vertes, abondantes et variées dans ces régions ; car n'oublions pas que la plupart des lames polies trouvées en Suisse occidentale et entre Rhône et Durance proviennent des schistes lustrés de la "zone piémontaise" qui s'étalent du Mont Rose au Mercantour. Cela a représenté un marché énorme à satisfaire durant deux millénaires.
Si durant les périodes anciennes du Néolithique certaines petites lames polies ont pu être confectionnées à partir de galets ramassés dans les moraines et les alluvions qui s'étalent en plaine, les pièces plus grandes qui apparaissent au Néolithique ancien-moyen sont issues de ces centres de fabrication implantés directement sur des gisements de roches vertes de bonne qualité. On connaît, malheureusement trop mal, des ateliers installés sur les schistes lustrés du Val d'Aoste (Excenevex), du Val de Suse, de Lanzo, de Chisone et de Pô (Barne) et de haute Maurienne (Bessans) dont les productions étaient exportées vers le nord, par le col du Grand-Saint-Bernard, dans le bassin du Rhône et plus rarement jusqu'en Bretagne...

Conquête de l'intérieur des Alpes et la création du premier domaine alpin
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Tombe du type "Glis-Chamblandes" de Aime, en Tarentaise, datée de 3.500 av. J.-C.