Le passage d'Hannibal dans les Alpes
ou Polybe illustré
par un archéologue alpin
Par Aimé Bocquet

Depuis le 22-11-2006
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Polybe :
"Quant à nous, si nous parlons sur ce point avec une telle assurance, c'est pour avoir pris nos renseignements sur les opérations auprès des gens qui s'étaient trouvés mêlés aux événements et pour avoir reconnu nous-même les lieux et avoir traversé les Alpes pour obtenir une vue et une connaissance exactes des lieux."

LA ROUTE D'HANNIBAL DANS LES ALPES

Pour replacer Hannibal dans le contexte alpin,
iI est important de bien connaître les Allobroges

Texte de Polybe établi et traduit par Jules de Foucault,
Editions Les Belles Lettres, Paris 1971.
Texte de Polybe en anglais édité
par Loeb Classical Library edition, 1922 thru 1927.
Mis à jour en octobre 2006

Les deux textes face à face

Voir l'itinéraire et son profil

 

On a beaucoup glosé sur la possibilité d'utiliser n'importe quel sentier de montagne pour une armée que l'on savait sans char, avec seulement des hommes, des chevaux et des bêtes de somme.
Cela permettait d'envisager tous les tracés, tous les cols...

C'est Polybe qui répond à la nécessité d'une route de type "carrossable". Lors de la descente vers l'Italie : "On enleva la neige, on se mit à l'ouvrage pour reconstruire le chemin le long du précipice. Ce travail fut poussé avec tant de vigueur, qu'au bout du jour où il avait été entrepris, les bêtes de charge et les chevaux descendirent sans beaucoup de peine.
On les envoya aussitôt dans des pâturages, et l'on établit le camp dans la plaine, où il n'était pas tombé de neige, Hannibal fit travailler les Numides par détachements à la construction du chemin, et, après bien des fatigues, on réussit au bout de trois jours, avec beaucoup de peine, à faire passer les éléphants."

Il faut un jour pour rétablir un sentier muletier sur 600 m mais trois jours pour faire passer, "avec beaucoup de peine", les éléphants...
C'est assez dire qu'un bon chemin est indispensable !

La cause est entendue.

La table de Peutinger est indispensable pour connaître les voies et les stations antiques
Je ne porterai aucun jugement sur les études antérieures, ce n'est pas mon propos ici.
Je présente seulement le récit de la traversée des Alpes à la lumière du texte de Polybe, de la géographie, des possibilités techniques de l'époque et de l'archéologie, en développant mes arguments.
Ici le texte de Polybe est toujours présenté en italique ou dans un encadré vert

 

INTRODUCTION

Polybe, seule source de référence

Pour suivre Hannibal dans les Alpes je me réfèrerai exclusivement au texte de Polybe (202 - 126 av. J.-C.) car c'est le premier et le témoignage le plus fiable écrit sur cet épisode historique. Quelques décennies seulement après les évènements, l'auteur s'est rendu sur les lieux où il a pu en retrouver des traces et des témoignages chez les Allobroges : " Quant à nous, si nous parlons sur ce point avec une telle assurance, c'est pour avoir pris nos renseignements sur les opérations auprès des gens qui s'étaient trouvés mêlés aux événements et pour avoir reconnu nous-même les lieux et avoir traversé les Alpes pour obtenir une vue et une connaissance exactes des lieux. " (III, 48).
Les historiens se plaisent à reconnaître en lui la maîtrise de sa discipline et la pertinence de ses réflexions. Mais en approfondissant la question, j'ai été étonné de la légèreté avec laquelle les exégèses récentes de Polybe ont été menées pour établir un itinéraire : seuls quelques détails, et pas forcément les plus importants, ont été relevés alors qu'il faut les analyser tous, en profondeur pour obtenir une cohérence de l'ensemble. Ainsi le texte se révèle exploitable et compréhensible quand on arrive à la confrontation avec les réalités du terrain. C'est ce que me suis astreint à faire en n'affirmant pas, en a priori, que Polybe est imprécis ce qui est faux.

Hannibal, à l'exemple d'Alexandre, eut soin d'incorporer dans son expédition des histo-riographes chargés d'immortaliser ses exploits, Silenos et Solysos . Leurs écrits sont perdus; mais Polybe, qui les a utilisés, nous fournit le récit le plus cohérent de la traversée des Alpes.
Tous ceux qui ont relaté cette affaire, bien plus tard, n'ont établi que des compilations de Polybe ou des historiographes. Ces chroniques sont plus ou moins interprétées et complétées en dehors de toute connaissance du territoire donc avec moins de véracité et d'authenticité . L'auteur dont il est fait le plus souvent référence est Tite-Live : bien sûr, pour écrire son Histoire romaine il avait comme source Polybe et les historiographes d'Hannibal mais il a souvent repris à son idée ces textes de références.

Il y a, à mon sens, des raisons de mettre en doute sa relation par le fait qu'il ait écrit 200 ans après les évènements, sans connaître les lieux et en commettant l'erreur impardonnable de faire monter Hannibal jusqu'à Valence pour le faire ensuite revenir en arrière vers la Durance alors qu'il savait que les Romains de Scipion étaient à ses trousses. Cela et quelques autres bévues m'ont convaincu de ne pas l'évoquer afin d'éviter tout effet " polluant " sur la narration la plus ancienne. L'historienne C. Jourdain-Annequin partage le même avis : " le problème est aussi un choix entre deux témoignages : la scrupuleuse et consciencieuse autorité de Polybe est infiniment plus utile à l'historien que la synthèse incohérente de Tite-Live. "

Bien des études anciennes ou actuelles, négligent ou n'attachent pas assez d'importance aux contingences et aux possibilités du terrain, aux données archéologiques et aux détails des faits et des lieux rapportés par le premier chroniqueur. Les auteurs apocryphes et les commentateurs servent seulement à justifier des thèses ou des explications fondées sur des montages spéculatifs ou chauvins, dépourvus souvent du plus élémentaire bon sens. La critique historique, la philologie demeurent toujours intéressantes pour la compréhension des psychologies, des évolutions géopoli-tiques et humaines, mais l'objectivité est pour moi le plus important des critères. C'est Polybe qui, on le verra, colle le mieux aux réalités et c'est lui que je suivrai ici à l'exclusion de tous les autres.
En effet, le livre III de l'Histoire Générale est suffisamment explicite pour que je puisse en suivre bien des péripéties sans avoir recours à des subterfuges sémantiques ou autres car je connais les données protohistoriques, la géographie des Alpes et bien des contingences de la vie primitive que la préhistoire m'a montrée.

C'est pour cela que je laisse la parole à l'historien grec et ce choix d'une source unique est délibéré même s'il peut heurter certains spécialistes car je considère comme bonnes mes raisons de le faire. La chronique de Polybe, on le verra, est riche et démonstrative, ses propos se vérifient souvent sans difficulté sur le terrain, témoignant ainsi de leur exactitude : quand des descriptions paraissent floues, des points de détails surgissent qui servent de repères évidents pour qui connaît les lieux. On suit facilement l'évolution des évènements et toutes les circonstances du voyage... quand on est sur le bon itinéraire.

Le choix d'un itinéraire

Il faut aborder la question avec des idées simples et du bon sens

J'ai consacré un site sur l'Allobrogie où je situe l'itinéraire d'Hannibal dans les Alpes. Avec une une population encore faible, le pays était boisé dans les zones peu fertiles et tous les terroirs potentiels n'avaient pas encore été mis en culture : la forêt couvrait donc une bonne partie des campagnes ce qui gênait beaucoup les déplacements et obligeait les occupants à créer, à entretenir et à améliorer au fil des besoins un réseau de sentiers et de voies. Sous nos climats et jusqu'à 1500/2000 m d'altitude, la forêt a toujours été l'obstacle majeur au développement des implantations ; mais les hommes ont toujours su y faire face par leurs outils et leur détermination.

Les conditions minimales pour le déplacement d'une armée

Les voies de communications
Avant d'aborder l'itinéraire il est nécessaire d'imaginer la nature des voies à l'époque d'Hannibal, nos routes d'aujourd'hui ne nous étant d'aucun secours pour le faire : les tracés à faible déclivité, les aménagements construits, l'entretien constant des chaussées et des abords étaient rarement de mise autrefois.
Les Alpes se sont, dès les premières occupations, et comme partout ailleurs au cours de la préhistoire, couvertes d'un réseau de voies de communication d'importance variable car le maillage répondait aux mêmes critères qu'aujourd'hui : intérêt local pour les activités rurales quotidiennes, importance régionale pour les échanges entre communautés voisines , trafic à longue distance où les indigènes trouvaient une source de revenu avec les péages et les portages.
Il est indispensable de considérer le problème sous cet angle car la qualité et le tracé des voies sont fonction de leur usage.
Entre tous les chemins anciens ou supposés tels, et il s'en est construit beaucoup au cours des siècles, remplacés ou non par des voies historiques ou modernes, il faut savoir choisir sur des critères objectifs car l'ancienneté supposée n'en fait pas obligatoirement une voie gauloise transalpine , comme certains osent l'affirmer ! En outre la différence de nature et d'entretien entre les diverses voies étaient bien plus faibles qu'aujourd'hui : il saute au yeux qu'un sentier de Grande Randonnée est à l'opposé d'une autoroute mais il y a 2000 ans une route " internationale " n'était qu'un sentier amélioré… et c'est ce regard que nous devons garder pour comprendre le passé.

Pendant des siècles la plupart des voies en montagne ont été des sentiers pédestres ou muletiers dont la pente et les sinuosités suivent la loi générale du moindre effort pour joindre un point à un autre ; c'est ce qu'on nomme le " chemin des ânes " puisque ces bêtes savent d'instinct où elles doivent passer.
Ils sont entretenus seulement par l'usage : dans un paysage rural, l'usage c'est un peu le passage des hommes et beaucoup celui des animaux, du bétail. L'homme écrase la végétation de ses pieds mais la vache, la chèvre et le mouton font mieux, ils la mangent : l'herbe par terre, les feuilles par côté et c'est ainsi que se conservent la trace et la largeur de la voie.
Parfois cet entretien " naturel " suffit pour un certain trafic mais pour des chemins à plus grande circulation, l'homme doit, en plus, intervenir directement pour élaguer, enlever les pierres, garder le calibre, soutenir les bords, élargir en taillant dans la pente.

On est dans un tout autre cas de figure, celui de ce que je nommerai la route
internationale à grand trafic. Car la nature, sous nos climats, est telle qu'un sentier délaissé par les activités humaines disparaît en quelques décennies et ne peuvent subsister que par l'utilisation : ceux, on le verra, qui existent encore dans nos campagnes et auxquels j'attribue un rôle sous les Gaulois, servent à la vie rurale depuis des siècles, pour ne pas dire des millé-naires pour certains.

En effet c'est l'occupation dense et continue du territoire qui est garante de la permanence des rapports entre communautés, donc de la bonne conservation des voies qui les relient. C'est pour cela que je montrerai, tout au long du parcours, l'ancienneté des vestiges découverts prouvant partout de très vieilles occupations qui ont conservé les voies, humanisé les terroirs et les paysages. Hannibal n'est pas passé dans un pays vide mais toujours chez des hommes tout au long de sa route, tant dans les plaines que dans la montagne…

En ce qui concerne les tracés, c'est le relief qui commande en montagne comme dans le bas pays, ils n'ont donc pas varié jusqu'à l'utilisation des moyens de génie civil, à des dates assez récentes. C'est pour cela qu'il y a permanence des voies anciennes : le plus souvent la voie médiévale passe sur celle de l'époque romaine qui couvre parfois elle-même la voie gauloise.
Là où le relief était moins prégnant, les chars devaient circuler plus aisément sur des voies tracées au mieux des possibilités du terrain en évitant le passage de grands cours d'eau et les fortes pentes. Il faut les imaginer plus comme des pistes serpentant dans les savanes, au tracé peu fixe, dans un espace libre de végétation arborée en fonction de la qualité du sol, des fondrières ou des ornières. Dans ces campagnes, les Romains ont pu utiliser les tracés plus anciens dont la fonction était de relier des villages, des communautés éparpillées, donc dans un intérêt local. Mais pour les voies directes entre les villes afin de gagner du temps, ils ont conçu des tracés plus courts, plus rectilignes, évitant les obstacles dans le même esprit d'aujourd'hui quand nous implantons nos autoroutes.

Les approvisionnements

Outre la nature et la qualité du chemin, pour permettre le déplacement d'une armée, une route doit répondre à plusieurs critères dont un des plus importants est la localisation des aires de repos où se remettent de leurs fatigues hommes et animaux : il doit y avoir des espaces ouverts donc déboisés avec des prairies, des possibilités de nourriture et de bois sec pour les feux de camps, de foin pour les bêtes en automne et en hiver. Les armées en campagne, et ceci pendant bien longtemps, satisferont leurs besoins immédiats sur place tant dans des villages que dans des champs où peuvent paître les animaux, quand la qualité de l'herbe le permet.

Hannibal avec ses 38.000 hommes et 8.000 chevaux a dû se plier à ces impératifs de façon si évidente que Polybe cite, comme une aubaine rare qu'il y " eut une grande abondance de vivres et de bétail pour deux ou trois jours " (III, 51). Les soldats n'ont certainement pas pu satisfaire leur appétit tous les jours car le narrateur insiste bien sur l'état des troupes à leur arrivée en Italie : " Les fatigues qu'elles avaient essuyées à monter et à descendre par des chemins si difficiles, la disette de vivres, un délabrement affreux les rendaient presque méconnaissables. Il y en avait même un grand nombre que la faim et les travaux continuels avaient réduits au désespoir. " (Polybe, III, 55). La faim a donc été un des problèmes majeurs de la traversée des Alpes.

C'est la raison pour laquelle Hannibal s'est appliqué a réduire au maximum sa durée en écourtant le parcours en montagne : 15 jours pour faire 130 à 140 kilomètres sur des chemins très difficiles est un exploit obtenu par des marches forcées, des re-pos limités, ce qui n'avait d'autres motifs que la pénurie des vivres car " il n'avait pas été possible de transporter dans de tels endroits des approvisionnements suffisants pour tant de milliers d'hommes, " comme le précise Polybe (III, 60).

Si l'occupation relativement assez dense des plaines et des régions de faible altitude pouvait, à la rigueur, subvenir à quelques besoins des troupes, les fonds de vallée en montagne comportent peu de villages, car la plupart sont installés sur les replats latéraux plus élevés restés en dehors du passage des soldats...
Il y a un facteur à ne pas négliger pour la recherche des approvisionnements dans un pays envahi : c'est que les indigènes devaient cacher leurs réserves et le cheptel loin de chez eux sans attendre d'avoir la soldatesque sur le dos pour le faire. Tout ce qui était susceptible d'être soustrait à la réquisition, hommes, femmes, enfants, bêtes, vivres et outils étaient déjà loin dans la montagne à l'arrivée des troupes. Ne restaient que diverses fournitures intranspor-tables ou sans intérêt, le fourrage engrangé pour l'hiver, le bois sec qui sera utilisé pour se réchauffer durant les fraîches nuits d'automne et imagine-t-on le nombre de feux nécessaires à plus de 40.000 soldats.

Les qualités nécessaires à une voie de grand trafic en montagne

On vient de voir une bonne raison pour éviter les zones désertes : il faut pouvoir utiliser les infrastructures et les ressources existantes dans les villages tant pour le ravitaillement que pour l'hébergement, les points d'eau, une main d'œuvre complémentaire, des outils, etc.

Dans le choix des routes il faut éviter les déclivités trop fortes , les difficultés inhérentes au terrain. Si pentes, reliefs et longs détours ne nuisent pas aux activités habituelles des montagnards et à leurs troupeaux pour qui le temps ne compte pas trop, tout cela est incompatible avec un trafic "international" soumis à des délais pour les transports à longues distances et Hannibal fera en sorte de ne pas ralentir la marche de ses troupes en empruntant des voies " secondaires " comme certains l'ont envisagé en dépit d'une bonne logique.
On remarquera, que dans Polybe et les autres historiens, il n'est fait mention ,et ceci avec force détails car l'affaire fut rude, que d'un seul passage de cours d'eau, le Rhône : pourtant pour atteindre les cols, des rivières puissantes ou des torrents impétueux se dressent sur les parcours mais personne n'évoque leur franchissement. Ce silence trouve facilement son explication dans le fait que ces franchissements, quand ils ont été nécessaires, n'ont pas posés de problèmes et cherchons à savoir pourquoi.

Ne connaissant pas l'art de créer des arches en pierre, les Gaulois ne surent que cons-truire, peut-être tardivement et sous influence romaine, des ponts de bois charpentés mais ceux-ci furent certainement rares et mis en place dans des agglomérations importantes. Ces ponts sont devenus indispensables sur les gros cours d'eau seulement quand les chars ont emprunté des routes rendues carrossables. Mais rien n'indique que le IIIe siècle av. J.-C. en ait connu en Allobrogie. On a retrouvé celui du bourg de la Tène, sur la Thielle, au nord du lac de Neuchâtel, construit vers 70 av. J.-C. et effondré sous les charges ; Grenoble, ancienne Cularo, n'en possédait pas puisque c'est Munatius Plancus, proconsul de la Gaule, qui dit, dans une lettre à Cicéron, en avoir lancé un sur l'Isère en 43 av. J.-C.
Un ruisseau ou un petit torrent ne sont pas des obstacles quand ils sont calmes ou non enfoncés dans des gorges, quand le passage à gué est possible en toute saison ou quand quelques troncs grossièrement assemblés suffisent à les franchir. Mais une rivière à fort débit, au lit profond, aux rives encaissées est un écueil difficile à surmonter : ainsi traverser le Rhône a demandé d'énormes efforts à Hannibal, avec radeaux, barques et autres engins . La basse Isère, rivière puissante, a pu être franchie là où son lit s'étale largement en de multiples bras de faible profondeur, dans un chevelu serpentant en plaine : cette disposition se retrouve à un seul endroit, près de son confluent avec le Rhône. Ailleurs cette rivière est un obstacle très sérieux presque tout au long de son cours, même en haute Tarentaise où, le torrent qu'elle devient, reste très dangereux par le débit et la pente .

Devant ces difficultés, les Gaulois évitaient donc, le plus souvent possible, de traverser les cours d'eau et les suivaient sans changer de rive. C'est à mon sens un point très important dans la recherche d'un itinéraire et les hypothèses qui les font passer à plusieurs reprises d'une rive à l'autre, sont irréalistes et invraisemblables. Les délais de route très serrés donnés par Polybe sont incompatibles avec de longues manœuvres de franchissement ; et si tel avait été le cas, il l'aurait signalé ou en aurait décrit les contraintes comme pour le franchissement du Rhône.

En un mot, il faut une chemin avec un bon profil, une bonne et large chaussée traversant une région habitée et bannir les changements de rive le long d'un cours d'eau. Donc rien de bien nouveau sur ce point, c'est logique même aujourd'hui et pour Hannibal il était fondamental de chercher d'abord la route utilisable par une armée en déplacement avant de s'enquérir des tracés hypothétiques ailleurs dans le dédale des vallées et du peuplement alpin. L'effet de surprise qu'il voulait provoquer chez les Romains en arrivant dans la plaine du Pô, résultait de la traversée des Alpes du Nord et non du passage par un col inconnu ou peu fréquenté qui n'étaient pas aptes à laisser passer une armée !

L'utilité de la table de Peutinger

Pour tenter de connaître les infrastructures et les emplacements privilégiés pour les haltes sur les grandes voies de communication, j'ai eu recours à la fameuse Table de Peutinger (Fig. 68) dont bien des stations d'étape se confondent encore aujourd'hui avec nos villes ou nos bourgs, même si quelques unes posent des problèmes de localisation. Elles correspondent à des distances qui se parcourent en une journée de marche sur des grands axes routiers.

Comme sur ces mêmes routes les conditions nécessaires au parcours et à l'accueil des voyageurs n'a pas dû changer beaucoup au cours des siècles anciens, on peut supposer que ces relais se plaçaient aux mêmes endroits à l'époque allobroge, d'autant que bien des noms inscrits sont d'origine gauloise . Les distances indiquées sont parfois fausses, ce que l'on attribue à des erreurs de copistes mais avec la réalité des parcours on arrive à trouver facilement les corrections à apporter. Ce document, de type itinéraire synthétique, demeure un indispensable outil de connaissance des voies antiques et je ne me priverai pas de m'en servir.

Trouver un itinéraire

Première alternative vite résolue
Deux grandes options d'itinéraire se partagent les faveurs des historiens et des chercheurs locaux : la voie du nord avec Polybe et celle du sud avec Tite-Live. En effet, l'historien grec dit clairement : " ils purent ainsi traverser sans encombre le pays des Allobroges, qu'ils n'abordaient pas sans appréhension. " (Polybe, III, 49). Or la voie du sud, par la Durance ou ses affluents ne traverse à aucun moment le pays des Allobroges.

C'est Tite-Live (XXI, 31) qui, depuis le Rhône et Valence, fait revenir l'armée vers la Durance : " …Hannibal, qui se dirigeait vers les Alpes, n'en prit pas encore directement le chemin. Il se détourna sur la gauche vers le pays des Tricastins, et, côtoyant l'extrême frontière des Voconces, il pénétra sur le territoire des Tricorii, sans éprouver sur sa route aucun retard, jusqu'aux bords de la Durance. " Le texte est clair mais déconcertant. Ne disons rien de l'incompréhensible " vers la gauche " (ad laevam), qui eût fait aller Hannibal soit vers l'ouest, par rapport à l'axe du Rhône, soit vers le nord par rapport à celui de l'Isère. Pour aller chez les Tricastins, c'est à droite qu'il faut tourner quand on se dirige vers les Alpes… Voilà une première erreur de taille !
L'itinéraire décrit par Tite-Live fait redescendre le Carthaginois vers le sud, même s'il n'a fait qu'effleurer les limites nord des Tricastins, traverser la zone méridionale du pays des Voconces, puis, poussant vers l'est, lui fait gagner le Gapençais et enfin atteindre la Durance.
Pour la petite histoire régionale, parmi ces deux grandes classes d'itinéraire, en général, les chercheurs alpins du nord penchent pour la voie septentrionale et ceux du sud défendent la voie méridionale : l'accent pointu opte pour Polybe et le chantant du Midi préfère Tite-Live ! Comme je le disais déjà, les solutions proposées sur Hannibal dans les Alpes sont souvent plus irrationnelles que scientifiques.


Hannibal a pris une route importante, un grand axe de circulation transalpin

Je reprends totalement à mon compte les propos de F. de Conink : " Nous nous sommes consacrés à cette étude, des années durant, en parcourant la montagne en toutes saisons, été comme hiver. A l'instar de Polybe, nous avons pensé que la meilleure manière d'élucider le problème était de refaire le trajet d'Hannibal en nous appuyant sur son texte. Nous avons donc entrepris de vérifier sur le terrain les nombreuses hypothèses émises afin de nous rendre compte si celles-ci concordaient avec la description des lieux telle qu'elle nous était parvenue à travers le texte de l'historien grec. Dans cette optique, nous nous sommes astreints à traverser ces divers cols à l'époque de la date supposée du passage d'Hannibal, à savoir fin octobre/début novembre. Nous gardions toujours dans l'esprit que l'armée d'Hannibal, forte de 30.000 hommes, de 8.000 cavaliers et de 37 éléphants, n'avait pu réaliser cet exploit en neuf jours, des bords du Rhône au col du Petit-Saint-Bernard et parvenir à la sortie des Alpes en quinze jours qu'en cheminant sur un chemin de trois mètres minimum de large aux points les plus étroits. ".
On ne voit donc pas pourquoi Hannibal, génial stratège théoriquement bien renseigné sur la géographie et les itinéraires avec des guides gaulois (" ... pour les difficultés de la route, il avait recours à des guides et à des conducteurs indigènes " III, 48) aurait pris des chemins ou des sentiers trop étroits où l'armée aurait dû se tenir continuellement en file indienne . La suite des évènements nous montrera que, pourtant, dans quelques circonstances, au cœur des montagnes, il a dû s'accommoder de mauvais chemins ; une autre fois, en Chartreuse, il a pris volontairement une route dont un tronçon, heureusement très court, était inadapté au passage des troupes, ce qui lui a coûté assez cher. A-t-il été trompé par des informateurs malveillants ?

La vitesse de la colonne est dictée par le pas des éléphants avec une moyenne de 3 km à l'heure, étant entendu qu'hommes ou cavaliers peuvent aller plus vite au besoin mais gardons ce chiffre par précaution. Dans le plus mauvais cas, en file indienne sur un sentier étroit, il faut un mètre par homme et trois mètres par cheval pour avancer : cela fait au minimum : 38.000 + 24.000 m soit une colonne de 62 km, c'est à dire la distance moyenne de plus de deux étapes par jour… Ce n'est pas imaginable, d'autant que Polybe en signale seulement deux où Hannibal a attendu des traînards (après l'attaque meurtrière au défilé du Siaix et après la pénible montée au col), ce qui veut dire que tous les soirs l'armée était regroupée ; donc il devait y avoir au maximum 7 à 8 heures entre les premiers et les derniers de la colonne...
Mais si trois hommes, deux ou trois chevaux marchent de front sur une voie d'au moins deux mètres de large, ils forment alors une colonne inférieure à 25 km de long, ce qui est bien plus concevable avec une bonne organisation logistique. Dans les vallées intra-alpines au relief souvent accidenté, il est difficile d'imaginer dans les étroits la possibilité de voies ayant plus de deux à trois mètres de largeur pour satisfaire à ces dispositions. Le flanc des montagnes et les fonds où il faut s'accommoder des torrents ont dû être la cause de bien des ralentissements de la colonne mais une progression plus rapide dans des passages moins étroits ont pu diminuer les retards ; en définitive les arrivées à l'étape s'échelonnaient le plus souvent sur des temps pas trop longs où les premiers devaient préparer l'accueil des derniers.

Bien que difficile, le passage d'Hannibal n'était pas la première expédition de ce genre car les Gaulois avaient déjà traversé les Alpes à plusieurs reprises, dont une armée de Gésates en 231 pour aider les Insubres à combattre les Romains. Polybe dit que, bien avant les Carthaginois, " les Gaulois habitants des bords du Rhône ont franchi les Alpes non pas seulement une fois ni même deux avant la venue d'Hannibal, non certes à date ancienne, mais tout récemment et avec de grandes armées " (III, 5). En 218, Hannibal était certainement au courant de ces entreprises très récentes et n'a eu qu'à en suivre l'itinéraire que les Allobroges et les guides devaient bien connaître aussi.

Où peut passer un axe de grand trafic dans les Alpes ?

De multiples voies de communication dans les massifs alpins, en Maurienne et en Tarentaise, ont été mises en place depuis le Néolithique moyen, d'abord lors de la création du domaine alpin d'altitude en rapport avec l'exploitation des roches vertes pour la fabrication des haches polies. Dans la haute Tarentaise plusieurs traces de présence néolithique ont été retrouvées et en 2004, encore dans les parties basses du col du Petit-Saint-Bernard, sur le versant français. Il en est de même en Maurienne sur la route du Mont-Cenis avec une occupation identique durant les mêmes périodes.

Les voies d'intérêt local se sont multipliées tout au long de l'âge du Bronze, tant dans le piedmont qu'en montagne, surtout au Bronze final à la faveur d'une amélioration climatique qui s'accompagna d'un renouveau démographique. Mais à partir de l'âge du Fer, au VIIe siècle, on a vu que les Hallstattiens ont favorisé le trafic transalpin pour faire parvenir au monde italique ce que l'Occident pouvait lui offrir, en particulier l'étain très demandé par les métallurgistes autour de la Méditerranée. Les princes celtes recevaient en retour des marchandises rares et précieuses comme bijoux, nécessaires de toilette, vin, bassins et seaux de bronze. Ces échanges ont transité par les cols au plus grand profit des Alpins qui en tirait des péages et des rémunérations pour le transport des charges, jusqu'à la venue des Gaulois. La route transalpine était devenue une nécessité pour le commerce donc elle devait être particulièrement entretenue.

Il fut dit, dans la partie concernant les Allobroges, que les premiers Gaulois commen-cent à bouleverser le système économique occidental à partir du Ve siècle av. J.-C. ; mais, par exception, pas celui qui était propre aux Alpes du Nord car routes et aménagements restaient absolument nécessaires aux échanges entre la Gaule cisalpine et la Gaule transalpine, ceci dès le IVe siècle, après la conquête de la plaine du Pô par les Gaulois qui ont créé Bologne en 350.
A la fin du IIIe siècle av. J.-C., les Allobroges étaient déjà implantés depuis près d'un siècle, dans un pays bien organisé avec des places fortes situées sur les points stratégiques pour la défense et le contrôle des voies, comme je l'ai montré dans la première partie.

Pour poursuivre le commerce entre l'Occident gaulois et l'Italie, des voies principales devaient être privilégiées parmi toutes celles qu'empruntaient les circulations locales pour la vie quotidienne des villages, voies que l'on sait nombreuses même en altitude. Maurienne et Tarentaise possédaient ces voies à grand trafic tenues par les autochtones alpins. Mais pour parvenir à les utiliser à leur profit, les Gaulois devaient aplanir des difficultés humaines et politiques : s'ils étaient maîtres du bas pays, plaines et grandes vallées, dès le début du IIIe siècle av. J.-C., pour traverser les Alpes ils ont dû s'imposer ou composer avec les peuples indépendants qui tenaient la montagne depuis des siècles.
Ils ont choisi, parmi les nombreuses vallées et les cols utilisés par les Alpins, les deux tracés probablement les plus faciles, les mieux aménagés et aussi ceux chez qui les indigènes étaient les plus accommodants, ce dernier point étant au moins aussi déterminant que les autres. On sait que la Tarentaise avec le col du Petit-Saint-Bernard et la vallée de la Durance avec le col du Montgenèvre ont été choi-sies suivant ces critères et largement utilisées pendant toute la période gauloise . Nous ne re-tiendrons que la voie du nord puisque l'autre ne passe pas chez les Allobroges.
On a vu que la Maurienne était considérée comme un pays étranger par les Gaulois car au confluent de l'Arc et de l'Isère, ils avaient établi une frontière gardée par un oppidum puissant ; les Médulles ne devaient pas être aussi arrangeants ou complaisants que les Ceutrons de Tarentaise et la route n'est pas passée chez eux alors que la géographie ne s'y opposait pas a priori.

Le choix du col : vers les Taurins ou vers les Insubres ?

Voilà le litige fondamental que soulèvent la lecture et l'interprétation des textes. Hannibal est-il arrivé chez les Insubres (Fig. 69) par le col du Petit-Sain-Bernard ou bien chez les Taurini, peuple gaulois de la région de Turin, ce qui signifie qu'il serait passé par un des deux cols ouvrant sur Suse et la Doire Ripaire, le Mont-Cenis ou le Montgenèvre.
Bien des historiens avancent aujourd'hui que le Carthaginois prend pied en Italie chez les Taurins. C. Jourdain-Annequin affirme " On peut, sans risque de se tromper, partir d'une réalité sur laquelle les textes antiques sont unanimes : l'armée carthaginoise a franchi un col qui l'amenait chez les Taurini… ". S. Lancel dit la même chose : " Or, ajoute Tite-Live, on sait pertinemment qu'il redescendit chez les Taurini, dans cette vallée de la Doire Ripaire qui s'adoucit jusqu'à Turin. ". Ces deux auteurs ne donnent pas d'explications à leur dire, tellement cela leur semble évident.

Ces exemples synthétisent l'opinion, bien arrêtée et sans discussion possible, des tenants d'une thèse qui a cours aujourd'hui. Je ne la partage pas et voici pourquoi j'ose contredire quelques autorités bien établies.
Dans sa relation, Polybe (III, 56), le premier historien a rapporter le voyage d'Hannibal, ne cite pas les Taurins, bien au contraire il précise : " Enfin, après avoir accompli l'ensemble du trajet depuis Carthagène en cinq mois et la traversée des Alpes en quinze jours, il aborda plein d'ardeur dans les plaines du Pô chez le peuple des Insubres. " . Cette phrase est claire, après les Alpes il aborde chez les Insubres, à quelques étapes d'Aoste (Fig. 69).
On ne voit d'ailleurs pas pourquoi le Carthaginois, qui est un fin stratège, serait pas-sé avec une armée diminuée et fatiguée, par un col qui, au sortir des Alpes, l'aurait amené directement chez les Taurini dont il connaissait les sentiments peu amènes à son égard, lui qui fut obligé de les vaincre quand son armée eut retrouvé ses forces, bien après son arrivée au pied des Alpes : " Le premier soin qu'eut alors Hannibal fut de relever leur courage, et de leur fournir de quoi réparer leurs forces et celles des chevaux. Lorsqu'il les vit en bon état, il tâcha d'abord d'engager les peuples du territoire de Turin, peuples situés au pied des Alpes, et qui étaient en guerre avec les Insubres, à faire alliance avec lui. Ne pouvant par ses exhortations vaincre leur défiance, il alla camper devant la principale de leurs villes, l'emporta en trois jours, et fit passer au fil de l'épée tous ceux qui lui avaient été opposés., et de cruelle manière, peu après son arrivée en Italie. " (Polybe III, 60).

De plus dans la logique des choses, un roi de Gaule cisalpine était venu le voir sur les bords du Rhône pour lui demander son soutien dans sa lutte engagée contre les Romains : " Il [Hannibal] introduisit dans l'assemblée un roitelet nommé Magile, qui était venu le trouver de la plaine du Pô, et fit expliquer aux troupes par un interprète les résolutions que les Gaulois avaient prises. Trois choses, dans le discours de Magile, étaient particulièrement faites pour encourager les soldats : en premier lieu, l'impression que produisait sur eux la présence de gens qui venaient les appeler à leur secours et leur promettaient leur appui dans la guerre contre les Romains. Ensuite, la confiance qu'inspirait cette promesse de les conduire en Italie par des chemins rapides et sûrs, où ils ne manqueraient jamais du néces-saire ; enfin la description qu'on leur faisait de la fertilité du pays où ils allaient, de son éten-due et des dispositions belliqueuses où étaient les populations qui devaient les aider à com-battre les armées romaines. Polybe, III, 44) ".

Magile faisait partie de ceux qui combattaient les Romains dans la plaine du Pô. En effet, les Insubres (et les Boïens en Romagne) souvent en guerre contre Rome ve-naient de se révolter, en été 218, ainsi que le dit Tite-Live " les Boïens, de concert avec les Insubres, s'étaient soulevés, moins à cause de leur vieille haine contre les Romains, que pour un motif tout récent, le vif dépit que leur causaient les colonies de Plaisance et de Crémone qu'on venait d'établir dans leur pays, sur les rives du Pô. " (XXI, 24). Ceci deux à trois mois avant la rencontre du roi Magile avec Hannibal. Il aurait été tout à fait anormal qu'il n'aille pas directement chez les Insubres qui avaient besoin de lui et qui l'attendaient.
Cet accueil qui était prévu chez ce peuple ami est encore confirmé dans la harangue du Général à ses troupes au col : " Il leur montrait donc les plaines du Pô, leur rappelait les dispositions sympathiques des Gaulois qui y habitaient " (Polybe III, 54). Ces " dispositions sympathiques " ne pouvaient pas se trouver chez les Taurins qu'il allait bientôt massacrer .

En résumé : Polybe ne parle pas d'une arrivée chez les Taurins mais chez les Insubres car Hannibal est très attendu par ceux-ci pour combattre les Romains et le Carthaginois a tout intérêt à venir les aider pour s'opposer à leur ennemi commun : Hannibal vient en Italie dans ce but… Ce n'est qu'après qu'il vaincra les Taurins qui n'ont pas voulu faire la paix, ce que cherchait portant le Carthaginois qui aurait préféré faire l'économie d'un combat superflu et inutile à ses projets.

Voyons maintenant le texte de Tite-Live sur lequel des historiens fondent leur conviction du passage d'Hannibal dans la région du Mont-Cenis " Lucius Cincius Alimentus, prisonnier d'Hannibal, comme il l'écrit lui-même, serait pour moi une autorité décisive, s'il n'eût jeté quelque confusion dans son calcul [de la composition de l'armée punique], en y comprenant les Gaulois et les Ligures : si on les compte, quatre-vingt mille hommes d'infanterie, dix mille de cavalerie furent conduits en Italie. Mais vraisemblablement, et plusieurs historiens en font foi, l'armée carthaginoise ne s'éleva à ce total que par la jonction de ces peuples. Cincius ajoute avoir entendu dire à Hannibal lui-même, qu'il avait perdu trente-six mille hommes, et une quantité prodigieuse de chevaux et d'autres bêtes de somme, depuis le passage du Rhône, jusqu'à sa descente en Italie, sur les terres des Taurini, limitrophes de la Gaule cisalpine. " (XXI, 38, 3-4-5). Ici, Tite-Live qui émet lui-même des doutes sur la véracité des calculs de Cincius diminue de ce fait la valeur de son témoignage mais il doit y croire.
En effet la raison des propos de Tite-Live sur l'arrivée chez les Taurins, est évidente : comme il fait passer, contre toute logique d'itinéraire, le Carthaginois au Montgenèvre (" Hannibal, après le passage de la Durance, gagna les Alpes " (XXI, 32), il se contredirait en le faisant aborder la plaine ailleurs que chez eux. Mais, conscient de cette absurdité, il prend ses précautions en prévenant le lecteur que d'autres ne sont pas du même avis que lui : " je trouve fort étrange qu'il y ait tant d'incertitude pour l'endroit où Hannibal traversa les Alpes. " ( XXI, 38).

Des explications politiques, psychologiques ou religieuses pourraient aider à comprendre le parti pris par Tite-Live à son époque. " Ce fut lui, qui croyant à l'histoire "pragmatque", allait s'efforcer de faire se rejoindre ces deux parcours inconciliables, celui de Polybe par le nord et celui que les Romains connaissaient bien par la Durance, en reconstituant un itinéraire invraisemblable qui pour des siècles devait entraîner la perplexité des historiens. " comme l'écrit C. Jourdan-Annequin.

Strabon fait dire à Polybe, un siècle après lui, qu'Hannibal est passé par un col donnant sur les Taurins, or comme je viens de le dire Polybe n'a jamais écrit çela nulle part : " Il [Polybe] nomme ensuite leurs principaux cols ou passages, au nombre de quatre seulement, un premier col chez les Ligures (c'est le plus rapproché de la mer Tyrrhénienne) ; un autre chez les Taurins, qui est celui que franchit Hannibal ; puis le col où aboutit la vallée des Salasses ; et… " (IV, 6). On a l'impression qu'à Rome, au Ier siècle, il faut à tout prix justifier un " historiquement correct " !

Effectivement, au début du Ier siècle, l'intelligentsia romaine réfutait le passage d'Hannibal par le pays des Salasses, suivant en cela le géographe grec Strabon. Pour eux, il n'était pas concevable qu'Hannibal, tout en évitant la route côtière tenue par les Romains, n'ait pas pris la plus courte en venant d'Espagne, celle bien connue à Rome par Nîmes, Taras-con, Cavaillon, Sisteron, Montgenèvre et Turin. Ils n'acceptaient pas, malgré le texte très clair de Polybe, un itinéraire plus septentrional prouvait la présence du Punique à Valence.

Pourtant nos historiens font totalement confiance à Tite-Live quand il dit que le Carthaginois est arrivés sur les terres des Taurins.
Cela relève, pour moi d'une aberration : je m'explique. Pendant des décennies on cher-che l'itinéraire d'Hannibal, un chercheur trouve un col d'où la plaine padane peut apparaître (mal) suivant les paroles de la harangue du Général à ses troupes épuisées et démoralisées. C'est fini, tout s'éclaircit et il n'est plus besoin d'imaginer un autre col que celui du Clapier et la vallée de l'Arc pour y arriver. Mais ce n'est peut-être pas le plus grave, car pour admettre cette hypothèse il est nécessaire d'interpréter dans ce but des textes antiques contradictoires et incomplets.

Comme nos historiens tiennent à une arrivée en Piémont à cause de la vue au col, ils acceptent donc les dires de Tite-Live sur les Taurins tout en réfutant vigoureusement son itinéraire par la Durance qui, lui, ouvre sur les Taurins. Comment sortir de cette antinomie pour prouver le col du Clapier ? En empruntant, pour y parvenir, un autre itinéraire, celui de la Maurienne sans amener aucun élément de terrain pour le rendre logiquement acceptable si ce n'est des hypothèses incohérentes face aux réalités du terrain, car à partir du Rhône, il faut bien faire le trajet en 15 jours. Dans le texte de Tite-Live certaines allégations sont retenues, pas d'autres et on compose une synthèse hétéroclite en ajoutant l'hypothèse d'un autre col cité par personne et qui ne comporte, encore aujourd'hui, qu'un mauvais sentier pour descendre sur l'Italie. Comprenne qui peut la logique de l'exégèse pour satisfaire aux termes d'un discours !

D'ailleurs, parlons-en de ce discours, car Tite-Live lui-même qui a suivi ici servilement Polybe ou les historiographes, a commis la même erreur d'appréciation des paroles grandiloquentes d'Hannibal puisque, du col du Montgenèvre, la vision sur les plaines padanes est aussi impossible !

Mais, pour moi, la position des spécialistes qui optent pour le tracé par la Maurienne et ses cols, me semble infondée et leurs interprétations des textes comme leurs arguments non convaincants ; en plus il manque totalement la preuve de son utilisation possible, en accord avec la relation de Polybe.

Tous les historiens disposent des mêmes textes mais ont beaucoup varié dans leurs exégèses, comme C. Jourdan-Annequin le souligne avec humour : " Amusons-nous un peu, en 1835 un sondage donnait en tête (pour 90 suffrages) le Petit-Saint-Bernard (33), puis le Montgenèvre (24), le Grand-SaintBernard (19), le Mont-Cenis (11), et la Traversette (3). Un siècle plus tard, en 1930, le Montgenèvre passe en tête avec 40 défenseurs suivi, dans l'ordre, par le Grand-Saint-Bernard, le Mont-Cenis, le Petit-Saint-Bernard, l'Autaret, la Traversette... " Il y a plus de 150 ans, un dixième seulement préfèrent le Mont-Cenis mais plus d'un tiers n'étaient pas gênés par une arrivée d'Hannibal chez les Salasses au Petit-Saint-Bernard !
Comme pendant plus d'un siècle et demi, aucun élément historique ou littéraire nouveau n'est venu modifier ou éclairer les sources antiques, un maigre indice qui s'accorde avec un discours de circonstance, suffit à désigner un col impossible.

On est loin de la preuve irréfutable attendue…

Par le col du Petit-Saint-Bernard

Conformément aux dires de Polybe, en empruntant le col du Petit-Saint-Bernard on passe donc directement du pays des Salasses à celui des Insubres, au nord du Pô (le Tessin sert de frontière entre les deux). Les Puniques sont arrivés par une route que Strabon (57 av. J.-C. - 25 ap. J.-C.) dit " carrossable " 200 ans après le passage d'Hannibal ; l'était-elle déjà au moment où il l'a utilisée ? Rien n'est moins sûr, mais les Allobroges avaient tout intérêt, et depuis longtemps, à entretenir un bon chemin pour relier les Gaules cisalpine et transalpine : " Des différents chemins de montagne qui font communiquer l'Italie avec la Gaule transalpine et septentrionale, c'est celui du pays des Salasses [Val d'Aoste] qui mène à Lugdunum. Ce chemin, avons-nous dit, a deux branches, l'une qui peut être parcourue en chariot, mais qui est de beaucoup la plus longue (c'est celle qui traverse le territoire des Ceutrons), l'autre qui franchit le mont Poeninus [Grand-Saint-Bernard] et raccourcit ainsi la distance, mais qui n'offre partout qu'un sentier étroit et à pic. " (Strabon, IV, 7).


Ce qu'on sait de la route par la Tarentaise

L'archéologie et la toponymie nous montrent une occupation de la région dense de-puis le VIe siècle av. J.-C., chez un peuple alpin non gaulois, comme on l'a vu, dit " indépendant " par les historiens antiques qui en nomment les habitants les Ceutrons.

Ceux-ci avaient déjà eu des contacts avec les Gaulois de la Cisalpine en fournissant aux villages de beaux bijoux retrouvés dans des tombes de la Tène ancienne III (IVe siècle av. J. C.). A Bourg-Saint-Maurice, comme à Aime , un habitat (ou un oppidum ?) abritait une communauté.

Les Allobroges ont installé dans la haute vallée de l'Isère des places fortes au nom gaulois : à Notre-Dame-de-Briançon et à Villette-d'Aime (Brigantione à l'époque romaine) où l'oppidum est placé sur le verrou rocheux qui barre la vallée.
Les monnaies gauloises sont quasi absentes dans le domaine des peuples alpins indépendants (Ceutrons et Médulles de Maurienne) alors qu'elles abondent comme on l'a vu, isolées ou en dépôts en Allobrogie : les Alpins n'en connaissaient pas l'usage. Pourtant une a été trouvée au col du Petit-Saint-Bernard, issue des ateliers des Séquanes : c'est le témoignage de la fréquentation internationale de ce passage…
Il y a dix toponymes gaulois en Tarentaise même, prouvant une "celtisation" poussée des terroirs par les Allobroges. Par opposition, la Maurienne en est dépourvue sauf un qui se situe dans le verrou à l'entrée de la vallée, c'est le bourg frontière de Ran-dens , ce qui signifie bien que la vallée de l'Arc était considérée comme un territoire étranger par les Allobroges.

Une très forte influence gauloise se manifeste donc dans la haute vallée de l'Isère. Au point qu'après la victoire d'Auguste en 12 av. J.-C. sur les peuples alpins indépendants, les Ceutrons ne sont pas mentionnés sur l'arc de Suse ni sur le Trophée de la Turbie comme peuple vaincu : ils devaient être considérés comme des alliés ou des amis de Rome au même titre que les Allobroges, contrairement aux autres peuples indépendants vaincus.

Trois toponymes existent à proximité du défilé du Siaix où les indigènes ont tenté d'arrêter la marche d'Hannibal (Siaix et Villette) : deux Breuil (le petit bois) et un Vion (le bois), ce qui traduit que, comme aujourd'hui le défilé était boisé et n'attirait guère les hommes avec son relief très accidenté.

Un fait est sûr, l'archéologie montre que les Gaulois ont " colonisé " la Tarentaise très tôt, dès le IIIe siècle av. J.-C, et l'indispensable traversée des Alpes vers la Gaule cisalpine s'y est donc mise en place rapidement après l'installation des Allobroges dans les plaines. En effet si la Maurienne n'était pas en dehors des échanges commerciaux avec le monde gaulois, le matériel que l'on y trouve est bien plus tardif, comme la belle ceinture danubienne de Jarrier ou le torque de Villarodin venu d'Italie du Nord, datés de la fin du IIIe siècle.


Hannibal avait en Tarentaise une route qui fonctionnait depuis longtemps pour franchir la crête des Alpes alors que rien n'indique qu'il y en eut en Maurienne…

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Polybe, Livre 3 Ch. IX

Extravagance des historiens sur le passage des Alpes par Hannibal.

Quelques historiens, pour vouloir étonner leurs lecteurs par des choses prodigieuses, en nous parlant de ces montagnes, tombent, sans y penser, dans deux défauts qui sont très contraires à l'histoire. Ils content de pures fables, et se contredisent.
Ils commencent par nous représenter Hannibal comme un capitaine d'une hardiesse et d'une prudence inimitables. Cependant, à en juger par leurs écrits, on ne peut se défendre de lui attribuer la conduite du monde la moins sensée. Lorsqu'engagés dans leurs fables ils sont en peine le trouver un dénouement, ils ont recours aux dieux et aux demi-dieux, artifice indigne de l'histoire, qui doit rouler toute sur des faits réels. Ils nous peignent les Alpes comme si raides et si escarpées, que, loin de pouvoir les faire passer à de la cavalerie, à une armée, à des éléphants, à peine l'infanterie légère en tenterait-elle le passage.
Selon ces historiens, les pays d'alentour sont si déserts, que si un dieu ou demi-dieu n'était venu montrer le chemin à Hannibal, sa perte et celle de toute son armée était inévitable.
N'est-ce pas là visiblement débiter des fables et se contredire ? Car ce général n'eût-il pas été le plus inconsidéré et le plus étourdi des hommes, s'il se fût mis en marche à la tête d'une armée nombreuse, et sur laquelle il fondait les plus belles espérances, sans savoir ni par où il devait aller, ni la nature des lieux où il passerait, ni les peuples chez lesquels il tomberait ? Il eût été même plus qu'inconsidéré s'il eût tenté une entreprise, qui non seulement n'était pas raisonnable, mais pas même possible.
D'ailleurs, conduisant Hannibal avec une armée dans des lieux inconnus, ils lui font faire, dans un temps où il avait tout à espérer, ce que d'autres feraient à peine quand ils auraient tout perdu sans ressources, et qu'ils seraient réduits à la dernière extrémité.


Avant qu'Hannibal en approchât, les Gaulois habitant les rives du Rhône avaient passé plus d'une fois ces montagnes, et venaient tout récemment de les passer pour se joindre aux Gaulois des environs du Pô contre les Romains.

Lorsqu'ils nous disent encore que dans ces Alpes ce ne sont que déserts, que rochers escarpés, que chemins impraticables, c'est une fausseté manifeste.
Et de plus les Alpes même ne sont-elles pas habitées par un peuple très nombreux ?
C'était là ce qu'il fallait savoir, au lieu de nous faire descendre du ciel je ne sais quel demi-dieu qui veut bien avoir, la complaisance de servir de guide aux Carthaginois. Semblables aux poètes tragiques qui, pour avoir choisi des sujets faux et extraordinaires, ont besoin pour la catastrophe de leurs pièces de quelque dieu ou de quelque machine, ces historiens emploient aussi des dieux et des demi-dieux, parce qu'ils se sont d'abord engoués de faits qui n'ont ni vérité ni vraisemblance, car comment finir raisonnablement des actions dont les commencements étaient contre la raison?

Quoi qu'en disent ces écrivains, Hannibal conduisit cette grande affaire avec beaucoup de prudence. Il s'était informé exactement de la nature et de la situation des lieux où il s'était proposé d'aller. Il savait que les peuples où il devait passer n'attendaient que l'occasion de se révolter contre les Romains.

Enfin, pour n'avoir rien à craindre de la difficulté des chemins, il s'y faisait conduire par des gens du pays, qui s'offraient d'autant plus volontiers pour guides, qu'ils avaient les mêmes intérêts et les mêmes espérances.

Je parle avec assurance de toutes ces choses, parce que je les ai apprises de témoins contemporains, et que je suis allé moi-même dans les Alpes pour en prendre une exacte connaissance.

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Silénos écrit sa biographie en punique et Cicéron en faisait grand cas. Solysos, enseigna le grec à Hannibal et fit sa biographie en grec. Coelius Antipater a écrit une histoire de la deuxième guerre punique à la fin du IIe siècle av. J.-C. dont on ne connaît que quelques citations.
Voir au sujet de la diversité et de la critique des sources, la remarquable étude de C. Jourdan-Annequin, 1999.
" tous les peuples celtes vivaient dispersés dans des bourgades ouvertes " dit Strabon (V, 1, 6).
Des toponymes d'origine latine nous permettent parfois de suivre le tracé de la route, en particulier les dérivés de strata, la voie empierrée, avec les lieux-dits l'Etrat à Aigueblanche en Tarentaise ou de l'Etraz à Saint-Vital en Combe de Savoie .
Il est excessivement difficile d'évaluer une population préhistorique : à l'âge du Fer elle pouvait être de l'ordre de 6 millions pour la France d'après les meilleurs spécialistes comme J.-L. Brunaux, et de quelques centaines de milliers pour l'Allobrogie (actuellement sur ce territoire elle voisine les 2 millions).
En Tarentaise on a des occupations attestées sur des cônes de déjection à Cevins, Feissons-sur-Isère, Villette, Aime et Bourg-Saint-Maurice
Sur des replats à Saint-Jean et Saint-Martin-de-Belleville, Notre-Dame-du-Pré, les Allues, les Avanchers, Planay, Saint-Bon, etc.
Les pentes supérieures à 15% ne peuvent être utilisées que par des mules ou des chars attelés à des bovidés donc elles n'existent pas en général sur des routes carrossables, sauf disposition particulière avec apport temporaire d'attelages supplémentaires. Une déclivité de 15 % sur de grandes distances est déjà forte pour des chevaux. Plus loin je montrerai que pour la montée au col la déclivité est toujours inférieure à 15%.
Aujourd'hui il est bien difficile de connaître les possibilités de gué car les gros cours d'eau sont pratiquement tous endigués. Heureusement que la carte de Cassini, levée de 1756 à 1789, nous les montre, pour la plupart, dans leur état naturel, avant les grands travaux d'aménagements fluviaux.
Polybe y consacre un long paragraphe dont : " Ayant construit solidement un bon nombre de radeaux, ils en réunirent deux qu'ils fixèrent fortement à la terre sur la rive du fleuve destinée à l'embarquement; les deux réunis donnaient une largeur d'environ cinquante pieds ... " (III, 46).
L'Arc, en Maurienne, présente les mêmes caractéristiques que la haute Isère.
Sur notre itinéraire on a des toponymes gaulois : Leminco (Lemo, l'orme), Mantala (vers St Pierre d'Albigny, le village du carrefour), Bergintrum (bergo, la hauteur), Arebrigium ( are et briga : à côté de la citadelle)
La table de Peutinger a été retrouvée à Worms à la fin du XVe siècle par Conrad Celtes et remise en 1508 à Konrad Peutinger, greffier d'Augsbourg, puis achetée par le Prince Eugène de Savoie. Actuellement, celle-ci se trouve à Vienne au Musée Impérial de la ville. Cette table, dont il n'existe que cette seule copie médiévale se présente comme un long rouleau de onze feuilles collées les unes aux autres, représentant la carte du monde romain de l'Angleterre jusqu'aux Bouches du Gange.
Copie du XIIIe siècle d'un document romain (Fig. 58), la table de Peutinger indique, avec une précision remarquable pour l'époque, les routes principales les plus fréquen-tées de l'empire romain, ainsi que les stations où le voyageur trouvait le gîte et le relais de ses montures. Les voies de communication sont représentées par des lignes brisées et cha-que redan correspond à une ville ou à un relais. Le nom de la cité est inscrit au-dessus de la ligne brisée et la longueur de l'étape entre deux redans. Les indications des villes sont très diverses, en particulier on distingue les villes principales, les établissements thermaux et les villes entourées de remparts.
Il semblerait la carte originelle date du Ier siècle et plusieurs fois remaniée. Les dernières modifications sont des IVe et Ve siècles, à la fin de l'empire romain.
Polybe parle souvent des bêtes de somme portant des bagages mais ne cite jamais leur nombre : entrent-t-elles dans le compte des chevaux ?.

Les Gésates
Selon Polybe ils étaient originaires du flanc occidental des Alpes et de la vallée du Rhône, donc très probablement la plupart d'entre eux étaient Allobroges ou Segovellaunes pour qui la guerre était une occupation et un métier traditionnel.

Les Insubres
les Celtes les plus puissants de la Gaule cisalpine (avec Milan pour capitale), en Italie du nord. En dépit de leur défaite à Télamon par les forces romaines en 222 Av. J.-C., ils ont aidé Hannibal.

En Tarentaise à Aime, Aigueblanche, Bozel, Bourg-Saint-Maurice, Fontaine-le-Puits, Granier, Hautecour, La Léchère, Planay, Saint-Jean-de-Belleville.
En rive droite, le bourg de Randens a un nom gaulois qui signifie la frontière, et en rive gauche, lui fait face une éminence, la Charbonnière (à Aiguebelle). Celle-ci a révélé de très nombreux vestiges depuis le début de l'âge du Bronze jusqu'à l'époque moderne. Ce fut un habitat puis une place forte gauloise, romaine et à plusieurs reprise savoyarde. Y furent trouvés, entre autre, plus de 10 monnaies allobroges. Aucun autre oppidum n'a été reconnu en Maurienne, mais une monnaie gauloise a été trouvée il y a peu au sommet du Mont, à Epierre : était-ce un aussi site fortifié ?
Fig. 69 - Les Insubres sont bien localisés au nord du Pô et la route romaine Aoste-Milan passe chez eux (table de Peutinger).

Les Insubres
Peuple celtique, originaire de la Gaule transalpine, qui s'établit durant le premier âge du Fer au nord du Pô sur un territoire compris entre les rivières du Tessin et du Serio, avec pour centre principal Mediolanum (Milan). Il subit le même sort que les autres populations de la Gaule cisalpine : sa civitas fut assujettie par Rome en 194 av. J.-C.; en 49 av. J-C., les Insubres obtinrent la citoyenneté romaine et furent intégrés à l'Italie en 42. (M.T. Grassi, La romanizzazione degli Insubri, 1995)

Le seul toponyme gaulois de Maurienne est à l'entrée de la vallée et c'est le bourg de Randens, de randa la frontière, ce qui signifie bien qu'elle était considérée comme un territoire étranger par les Allobroges.
Cette limite était d'ailleurs sous le contrôle d'un poste installé en face du bourg, sur la rive gauche de l'Arc, au sommet de l'éminence de Charbonnière qui a livré une monnaie allobroge à l'hippocampe.
BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE
Itinéraire d'Hannibal dans les Alpes par le col du Petit-Saint-Bernard
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