Les Mégalithes
Les dolmens et les menhirs alpins sont très localisés dans deux régions, Chablais au Nord et Champsaur- Gapençais au Sud ; ils furent détruits pour la plupart à la fin du XIXe siècle afin de faciliter les travaux agricoles et seuls les anciens comptes-rendus permettent d'en retrouver la trace. En Chablais deux
dolmens sont encore en place bien qu'entièrement vidés (73), et les autres ont disparu (74). Ceux de Saint- Cergues et de Cranves ont livré des gobelets campaniformes complétés à Cranves par une épingle du Bronze ancien.
Les anciens auteurs signalent des menhirs et des cromlechs en Chablais (75). Faut-il rattacher cette petite région de égalithes à la Suisse occidentale, ce sera difficile à prouver car pour la plupart on en ignore l'architecture. En Tarentaise un cromlech est toujours visible au col du Petit-Saint-Bernard ; son âge exact est encore discuté : néolithique ou âge du Fer?
Dans le Gapençais-Champsaur le dolmen de la Batie-Neuve (dont il demeure des traces du tumulus qui le recouvrait) fouillé en 1956 a donné des parures méridionales (76). Les anciennes relations en localisent d'autres (77) et l'allée couverte de Tallard fut le dernier monument détruit en 1926 dont on n'a conservé que la dalle anthropomorphe de fermeture. Des menhirs auraient existé dans une zone un peu plus vaste (78) mais on ne saurait en dire plus.
En Ubaye dans le dolmen du Lauzet un abondant mobilier méridional et campaniforme (79) accompagnait les corps.
Le dolmen de Torre Pellice, exemple unique sur le versant italien, dans la vallée du Pellice reliée au Queyras par le col de la Croix doit-il leur être rattaché?
Nous avons fouillé en 1971 à Vernas en Nord-Dauphiné, une allée couverte, à demi détruite au début du XIXe siècle, ce qui nous a permis de comprendre son évolution architecturale complexe entre le Néolithique récent et le Bronze ancien par trois agrandissements successifs de la chambre funéraire qui a livré un poignard à languette en cuivre de type "occidental" et un gobelet pan-européen campaniformes, une tasse du Bronze ancien. Cet exemple isolé placé en dehors des groupes que nous avons vus, était rapproché par le Dr Arnal de l'allée couverte de Tallard (80).


Tout récemment à Die, la découverte de cinq monolithes de calcaire seraient du type statue-menhir dont deux décorées d'un "pectoral" gravé constituent les plus anciennes sculptures de la région, bien qu'encore mal datées entre Néolithique moyen et final.

Le "Mégalithisme alpin", curieuse manifestation de la présence humaine...

Pierres à cupules et "roches aux pieds", reconnues depuis
longtemps, parsèment les deux versants des Alpes, manifestation
du "mégalithisme alpin". Des recherches systématiques récentes
ont considérablement élargi nos connaissances en Maurienne et
en Tarentaise avec la découverte de très nombreux sites, en par-
ticulier ceux comportant des dalles gravées (87) et pas seulement
couvertes de cupules. Certaines pourraient remonter au Néolithique
mais des études complémentaires restent à faire pour le préciser.
A qui doit-on ces manifestations spectaculaires dont la datation
est toujours difficile? Beaucoup sont placées en altitude, au-dessus
de la limite de la forêt, et sont-elles toujours l'oeuvre de bergers ?
Il en existe aussi près de zones habitables toute l'année (88),
position identique à celle des dalles gravées placées à coté du site
néolithique moyen de Saint-Léonard en Valais (3750 BC à 3250 BC).
De nombreuses figurations sont d'âge plus récent et seront évoquées ultérieurement.
Les prospections d'autres chercheurs ont révélé des pierres à cupules en bas et Nord-Dauphiné, dans le Grésivaudan, dans le Chablais près du Léman et dans le Bugey savoyard où des dates, 2920 BC et 1890 BC, obtenues à Billième sur des charbons de bois de deux couches qui jouxtaient la base de la pierre, prouvent l'ancienneté de leur fréquentation. La grande dalle de fermeture du dolmen de Tallard, au Sud de Gap, couverte de cupules est de forme grossièrement anthropomorphe dans le style de certaines stèles ardéchoises. L'étude de cet art rupestre, actuellement en plein essor, permettra de mieux connaître la religiosité des peuples alpins en rapport avec leurs implantations, leurs activités et l'origine des influences subies.
Outre les cupules, de nombreuses dalles portent des gravures plus ou moins figuratives avec spirales, anthropomorphes,figures géométriques, etc. sans
pouvoir les attribuer toujours au Néolithique car beaucoup sont protohisto-riques. Par contre, les "pierres chevettes" avec figuration de chouette et les spirales ou "labyrinthes" sont certainement anciennes.
C'est manifestation en Chablais et en Faucigny sont-elles en rapport avec les mégalithes de cette région ?

Les gravures rupestres
d'après Françoise Ballet

En Savoie, un art rupestre remarquable s'est développé à partir de 3000 avant J.-C. environ, au sein des premières communautés agropastorales du Néolithique. Il apparaît, avec les pierres à cupules, puis évolue pour aboutir, à l'âge du Fer, à une profusion de représentations figuratives et abstraites dont l'apogée se situe entre 600 et 200 avant J.- C., en vallée de Maurienne, dans le contexte de la civilisation alpine de l'âge du Fer. Au cours des périodes historiques, symboles religieux, dates et inscriptions se juxtaposent ou se superposent aux gravures protohistoriques.

Répartition
Dans l'avant-pays, en Combe de Savoie et en Tarentaise, les roches présentent presque exclusivement des cupules, petites cavités circulaires gravées sur des blocs erratiques le plus souvent, dont les plus anciennes sont datées du Néolithique. Mais certaines sont associées à des représentations de l'âge du Fer, d'autres sont attribuées aux périodes historiques.
Les gravures sont particulièrement nombreuses et diversifiées en haute Maurienne, sur les replats des versants adrets favorables à une implantation humaine, à proximité des voies de passage et au débouché des cols alpins menant en Tarentaise ou en Italie, entre 1000 m et 1500 m et jusqu'aux alpages entre 2000 et plus de 2 400 m d'altitude. Au-delà de Termignon, elles se répartissent sur les versants adret et ubac, de l'étage de l'habitat permanent (1300 m à 1500 m) aux alpages dominant la vallée jusqu'à plus de 2 800 m d'altitude, et dans les vallons adjacents de la Rocheure, du Ribon et de Ronce. Leur distribution correspond aux sites d'occupation humaine datés du Néolithique à l'âge du Fer, tels Saint-Michel-de-Maurienne, Orelle, Saint-André-de-Maurienne. Villarodinle-Bourget, Aussois, Sollières et Lanslevillard, installés à proximité des voies de passage et au débouché des cols alpins menant en Tarentaise avec d'autres motifs; les serpentiformes évoluent en méandriformes complexes pour donner lieu, dans quelques cas remarquables, à des compositions très élaborées de labyrinthes.

Représentations circulaires : cercles à quatre et jusqu'à dix rayons internes, rouelles, figurations en fer à cheval...
Représentations quadrangulaires : tris (simple carré avec médianes) et marelles simples ou à double ou triple enceintes, carrés ponctués.
Cruciformes: certains cruciformes et arbalétiformes très érodés à caractère anthropomorphe pouffaient être protohistoriques. La plupart sont cependant des croix chrétiennes.
Représentations diverses
: échelles, arceaux, réticulés.

Représentations figuratives


Pieds et mains : les pédiformes sont extrêmement abondants qu'ils soient gravés en creux, au contour ou simplement piquetés sur toute leur surface. lis y sont souvent par paires et, dans ce cas, sont parfois associés à une cupule ou reliés par une barrette. Les mains sont très rarement gravées et, sauf exception, paraissent de périodes historiques récentes.
Anthropomorphes : la majorité des anthropomorphes est concentrée sur les sites de SaintAndré, Aussois, Sollières et Lanslevillard. Leur typologie est très variée : schématique aux attitudes rigides, subnaturaliste en forme de sablier naturaliste..., chaque type étant lui-même décliné en sous-types. Beaucoup sont sexués et armés de lances et ou d'épées, parfois casqués. Ils sont juxtaposés ou groupés en scènes de duels ou de chasse ; les cavaliers sont en petit nombre. Les anthropomorphes datent principalement de l'âge du Fer, mais aussi de la période romaine et du Moyen-Age.
Zoomorphes: les chiens et les bouquetins sont les plus abondants, mais on trouve aussi des équidés, un renard, un lièvre et quelques serpents (distincts des motifs serpentiformes).
Armes : les armes offensives sont des épées et des lances, brandies ou portées avec ostentation. Le casque est le seul élément défensif représenté.
Chars : ils ne sont présents qu'à Aussois où l'on trouve treize représentations de chars biges à caisson triangulaire ou rectangulaire, attelés ou non.

Représentations abstraites

Cupules apparues avec les premiers agriculteurs vers 3 000 avant notre ère, elles ont été façonnées durant toute la Protohistoire, comme le montrent de grandes roches, où elles sont associées à des réseaux complexes de rigoles, de gravures schématiques et de pédiformes.
Spirales, spiraliformes, serpentiformes, méandriformes et labyrinthiformes : la spirale simple est très abondante, isolée ou en composition

Datation et signification

La datation des gravures se heurte aux difficultés propres à l'art rupestre de plein air. Par ailleurs, même s'il existe des constantes, la diversité des styles et des factures personnalise pratiquement chaque site. La datation s'effectue par la comparaison des thèmes et des motifs avec ceux des vallées italiennes voisines et du Val Camonica. L'iconographie savoyarde s'inscrit pour l'essentiel dans une période comprise entre la fin de l'âge du Bronze et le Moyen Age, avec une phase remarquablement riche qui correspond au développement de la civilisation alpine de l'âge du Fer, entre les VIe et IIe siècles avant notre ère.
Les scènes n'évoquent pas d'activités de la vie quotidienne et sont rarement descriptives ; les motifs abstraits, les compositions martiales et cynégétiques paraissent relever du domaine symbolique. La distribution des gravures incline à envisager des pratiques individuelles ou collectives, à caractère votif ou propitiatoire, liées à de petites communautés.


BIBLIOGRAPHIE
BALLET F., RAFFAELLI P. (1990):
Rupestres, roches en Savoie, gravures, peintures, cupules, Musée Savoisien, Chambéry.
BALLET F., RAFFAELLI P. (1996):
L 'art rupestre de Maurienne. L 'Histoire en Savoie, n0 spécial S.S.H.A.
NEHL G. (1981) : Les gravures rupestres de haute Maurienne. Parc National de la Vanoise et zone périphérique, Travaux scientifiques du Parc National de la Vanoise, Chambéry, X, p. 9 - 35, XI p. 9-27.

Un art pariétal rupestre

De la fin du Néolithique seraient les peintures de Saint-Jean-d'Arvey près de Chambéry sur les parois d'un abri-sous-roche. Sur cinq mètres se développent des panneaux de ponctuations, de traits et de signes à l'ocre rouge, jaune et orangé où se distinguent des figures rayonnantes et deux anthropomorphes en forme d'ancre renversée. Cette composition peinte serait, selon P.Ayrolles, d'inspiration ibérique dans la ligne de celles de l'Ardèche, placées comme celle-ci loin de toute zone habitable.
Vraisemblablement du même âge et de la même origine seraient les 27 grilles et résilles peintes à l'ocre de l'abri d'Eson à Pont-de-Barret en Diois.
Plus difficiles à dater sont les gravures pariétales d'abris-sous-roche ou de rochers en Vercors et en Diois dues peut-être à des bergers et étalées sur une longue période, protohistorique et historique.

Un monument très particulier : l'allée couverte de Vernas
Roche avec des cupules et des gravures
Lanslevillard, Savoie.
Dalle anthropomorphe avec cupules et une ceinture gravée. Tallard,
Hautes-Alpes.
Peinture à l'ocre sur les parois d'un abri.
St-Jean-d'Arvey, Savoie.
Sommet de la statue-menhir de Die, Drôme
Mégalithes et mégalithisme alpin
Dolmen de Reignier, Haute-Savoie
ARCHÉOLOGIE ET PEUPLEMENT
DES ALPES FRANCAISES DU NORD
Dalle à spirales gravées.
St-Paul-en-Chablais, Haute-Savoie
.
Dalle avec "labyrinthe" gravé.
St-Jeoire-en-Faucigny,
Haute-Savoie.

L'absence d'armes dans les tombes et les très rares habitats connus de l'âge du Fer de Maurienne est en opposition avec celles portées avec ostentation sur les gravures... Les indigènes ont représenté celles qu'ils voyaient sur Hallsttatiens venus exploité les mines d'argent et organisé le trafic transalpin avec l'Italie.
A.B.

 

Carte de répartition et quelques gravures
Statue-menhir en calcaire avec visage, collier et ceinture. Die, Drôme